Crédit:

JAZZ pour tous, partout : Les Salons Musicaux

Sébastien Boisseau, contrebassiste et artiste associé à la salle de jazz Le Petit Faucheux de Tours, France, pour la saison 2013-2015 a souhaité mettre en place des Salons Musicaux le temps de sa résidence, dans le but d’emmener le jazz partout, et surtout là où on en écoute rarement et où la « Culture » est parfois perçue comme un luxe. Il a donc travaillé avec l’association Cultures du Coeur, dont la mission est de rendre accessible les spectacles de qualité aux personnes en difficulté. Il y eut donc des concerts – pour être précis des duos, Boisseau feats un invité, musicien de jazz, avec lequel… il n’avait jamais joué avant.- dans les pensions de familles du réseau de la Fondation Abbé Pierre, dans un hôpital de jour en psychiatrie, dans des centres sociaux, dans un café associatif…

J’ai eu le plaisir d’assister à 3 de ces salons, pendant lesquels j’ai réalisé des captations sonores, dont j’ai fait une émission diffusée sur Radio Campus Tours, et des fonds sonores pour la soirée de clôture de ce cycle de salons.

Maintenant que vous avez cliqué sur les liens vous permettant d’écouter les sons mentionnés, je vous annonce  que ce projet a tellement bien marché (oui, quelque chose peut être gratuit, et ne générer aucun profit, tout en créant une certaine richesse…), qu’il y a de fortes chances pour qu’il se poursuive, au-delà de la résidence de Sébastien Boisseau; un nouveau cycle de concerts devrait démarrer d’ici peu.  Je vous propose ensuite une analyse – personnelle, bien sûr – de ce phénomène socio-culturel, là, juste après…


Sébastien Boisseau
Sébastien Boisseau – Contrebassiste de jazz

ANALYSE : ECOUTER DE LA MUSIQUELES « EMPÊCHÉS » – LE JAZZ

ECOUTER DE LA MUSIQUE

De la musique… Tiens, c’était quoi, d’ailleurs ?

Le dernier tube de… mince, comment s’appelle-t-elle ? …

De toute façon, elles ont presque toutes la même voix, alors, c’est difficile de savoir, de se souvenir…

C’était quoi ? Je ne sais plus.

Peut-être que, quand on fait une marche-arrière pour se garer dans un parking souterrain, on entend, plus qu’on n’écoute.

Écouter de la musique, et ne faire que ça. Inventer un espace-temps où on ne fait que ça, écouter, volontairement, et rien d’autre en même temps. Écouter de la musique pour elle-même, et être consentant, présent physiquement et en pensée à cette écoute. Se rassembler et se concentrer sur la musique, d’abord en soi-même ; et puis avec les autres.

Dans notre quotidien , la musique arrive comme de nulle part, comme la lécithine de soja : partout, tout le temps, en quantité industrielle, sans que madame ou monsieur Tout-le-monde ne puisse rien dire d’éclairant sur le processus de fabrication, ni même la réfléchir, ni même la relier à une sensation physique ou émotionnelle personnelle plutôt qu’induite, ou part elle créer un lien avec l’autre.

Voir la musique entrain de se faire, ou plutôt, voir ceux qui la font, les musiciens. C’est vrai, ça, à force qu’on vous la serve toute prête dans vos oreilles, la musique, on oublierait presque qu’il y a des gugusses qui lui consacrent toute leur vie. Des gens qui font des années et des années d’études, juste pour jouer de la musique, pour en inventer. Ou alors, qui n’ont pas fait spécialement d’études, mais enfin, qui ne savent faire que ça, et le font très bien. Des gens qui en vivent, plus ou moins bien, et sans passer à la télé. La musique compressée au format mp3 semble flotter dans l’air, comme un spectre – qui hante l’Europe, mais pas seulement . Elle est désincarnée ; et sans chair, comment véhiculerait-elle encore un quelconque plaisir, un quelconque désir ?

Écouter de la musique : se rassembler – réfléchir – relier – désir

Oliver Sacks, neurologue et mélomane, a montré dans ses travaux que l’Homme est une espèce musicale : la musique pour nourriture philosophique, spirituelle ; musique qui soigne, aussi. Donc, la musique est un besoin, et en être privé une atteinte à la dignité et à la liberté.

La démarche des Salons Musicaux, en ce qu’elle permet une rencontre privilégiée avec les musiciens, répond à ce besoin. En effet, au cours d’un temps d’écoute collectif, les participants, peu nombreux, voient et entendent la musique se faire, tout près d’eux, et ils ont la possibilité d’échanger avec les musiciens, sur ce qui est vu, entendu et ressenti : intelligence collective.

LES « EMPÊCHÉS »

Un endroit où l’on voit jouer des musiciens, « en vrai ».

Ça s’appelle un concert, je crois.

Un concert… Aller à un concert ?

Aller voir un concert ?

Assister à un concert ?

Accéder à de la musique live, sans colorants, ni conservateurs, suppose un engagement physique (aller à), un coût financier, une capacité de concentration, la connaissance et le respect de certaines règles. Pour un habitué des concerts, lire de telles platitudes peut être exaspérant.

Pourtant, il y a certains de nos semblables, pour lesquels être à 20h30 à un endroit précis, puis rentrer vers 22h est une gageure, faute de moyen de transport, de conjoint pour garder les enfants. Être « enfermé » dans une salle, dans le noir, avec des inconnus peut être très angoissant. Ne pas parler la même langue, croire qu’une tenue particulière est nécessaire. Avoir honte de son apparence physique, de son manque de connaissances, de sa façon de se tenir, de parler. Penser que l’on n’est « pas assez bien », que l’on ne « mérite pas », que l’on n’est « pas capable », et parfois en venir à rejeter avec agressivité, parce que ça fait moins mal. Être dans un état psychique tel, que s’arracher à son lit demande un effort surhumain, tout comme rester assis et silencieux plus d’une heure.

Une association comme Cultures du Cœur joue un rôle fondamental auprès de ces personnes. L’accès à la culture est un droit ; encore faut-il avoir conscience de ses droits et de ses besoins, et qu’ils sont en principe, les mêmes pour tous. Cultures du Cœur dit à ces personnes qu’elles peuvent se construire, se nourrir elles aussi par la culture, qu’elles ont le droit d’avoir un point de vue, d’aimer, de ne pas aimer ; et que leur parole, telle qu’elle est, n’a pas moins de valeur qu’une autre.

Les Salons Musicaux font venir la musique dans le lieu familier : la pension de famille, le foyer, l’hôpital de jour, le centre social, le bar associatif. Et d’ailleurs, ils y sont invités. En effet, les participants sont associés à la préparation de l’événement:décoration de la salle, préparation d’un goûter à partager, invitations, affichage, accueil. Il ne s’agit pas seulement de leur apporter quelque chose qui leur manquerait, mais de faire appel à leurs compétences et d’écouter leurs envies. Les participants sont acteurs de ces rencontres, non seulement par leur présence et leur écoute, mais aussi en tant qu’organisateurs, à des degrés divers.

Ainsi, accompagner les Salons Musicaux est un engagement politique : «  (…) lart de se cultiver et cultiver suffisamment les autres pour que les hommes puissent se gouverner et jouir euxmêmes. », F. Pelloutier

LE JAZZ

Le jazz. Le djaz ? Le jase ?

De la musique d’ascenseur.

Une musique noire américaine, un peu vieillotte

École de jazz

Ça a l’air bien compliqué…

Pari audacieux, que d’inviter des oreilles qui n’y sont pas habituées, à écouter cette musique, souvent considérée comme l’apanage d’une élite. Et faire confiance à leur jugement, prendre le risque de la question déroutante, du déplaisir avoué, de l’ennui affiché ; même si le plus souvent, il s’agit d’enthousiasme, de surprise. Les participants sont souvent sensibles à cet aspect de la démarche des musiciens, qui viennent simplement devant eux, avec leur instrument, et qui « fabriquent » en direct la musique, tout près d’eux, pour eux, sans se cacher derrière une partition , sans le piédestal que peut être la scène.

La musique est écoutée, vue, ressentie et touchée. Toutes les questions sont permises, toutes auront une réponse. Comment s’appelle cet instrument ? Pourquoi le parquet a un effet sur le son ? Comment on devient musicien ? Pourquoi cet instrument ? Comment vous savez que l’autre va arrêter de jouer ? Et si l’autre a pas envie de jouer comme vous le lui proposez ? Est-ce qu’on peut jouer avec quelqu’un qu’on n’aime pas ? Est-ce que le jazz est plus facile à jouer que la musique classique ? Le style de musique intéresse autant que ceux qui la pratiquent.

Par ailleurs, les musiciens participant aux Salons sont des professionnels reconnus. Le choix est donc fait de proposer d’emblée une musique de grande qualité à des oreilles novices, sans passer par des « petites formes », du « facile », du… « populaire ». On voit bien que, si le public est « spécifique », la proposition artistique n’a, elle, aucune raison de l’être. Que ces rencontres suscitent une curiosité nouvelle pour cette musique est certain ; qu’elles en suscitent une pour la culture en général ne l’est pas moins. Expérience valorisante, les Salons Musicaux permettent de construire un nouveau rapport à la culture, et à soi-même. Ad augusta per angusta.

Dans la salle d’attente ou dans l’ascenseur, pour supporter la promiscuité soudaine avec ces personnes, qui tout comme vous, s’absorbent dans la contemplation de la porte métallique et de la moquette murale. Dans les boutiques, pour créer un hors-temps, vous faire rester plus longtemps, et vous faire dépenser plus. Dans le bus, dans les rues parce que c’est Noël, et que l’espace sonore public se doit de distiller joie et bonne humeur en cette période de fêtes. Au bout du fil, parce que l’on s’efforce d’écourter agréablement votre attente. De la musique, il y en a partout, tout le temps ; à tel point qu’on ne sait plus très bien ce qu’est le silence, voire qu’on a un peu la trouille, quand enfin, on tombe nez à nez avec lui. Anesthésie à force d’être « en compagnie » de la musique. Accoutumance à l’agression sonore permanente, d’ambiances musicales choisies pour vous et pour la multitude, sans questionner votre goût, mais pour apaiser votre cerveau vaguement inquiet, et le rendre plus disponible. L’expérience du Salon Musical, par son ambition, propose des outils à ses participants, pour écouter le jazz certes, mais aussi pour mieux prendre conscience de la société à laquelle ils appartiennent, être plus à l’écoute de leur environnement sonore et mieux le décrypter. Le succès des Salons Musicaux doit aussi à la capacité de travailler en réseau et de mener une réflexion commune des nombreuses structures et personnes qui s’y sont impliquées. Yes, we can !

Partagez

Auteur·e

melpwyckhuyse

Commentaires

Noël
Répondre

Bonjour.
Je viens de découvrir votre blog. Un réel plaisir à la lecture de votre chronique sur les salons musicaux.
Je vais m empresser d en découvrir plus...
Merci .

Warda
Répondre

Bonjour, merci pour votre commentaire. Et... Bonne lecture! :)