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Identité : française?

Quand j’avais trois ans, à l’école, ma meilleure copine avait des centaines de petites nattes, et je la trouvais si gentille et si jolie, que moi aussi, j’aurais aimé avoir la peau noire!

20160326_141632Cet enthousiasme déplaisait à mon père, mais je ne savais pas trop pourquoi.
J’ai un nom flamand, et un prénom qui veut dire à peu près « abeille », en grec ancien. En moderne aussi, peut-être. Je n’avais jamais trop fait attention à tout cela, jusqu’à ce que j’arrive au lycée. Ce n’était pas n’importe quel lycée! Un lycée avec beaucoup d’enfants de familles riches, catholiques pratiquantes, et « bien français ». Tous ces détails ont leur importance, je vous assure.


« Quand même, tu es moins française que moi »


Un jour, un garçon m’a dit « Quand même, tu es moins française que moi ». Je ne comprenais pas bien. Mais il était bien élevé, bien habillé, et je me disais que ça devait être une plaisanterie raffinée que ma basse extraction ne me permettait pas de comprendre. Et puis, quand j’ai enfin compris, j’en ai eu le souffle coupé. Alors, quoi? On pouvait être plus ou moins français? C’était la première fois que je comprenais que pour certains, il existait une différence entre moi et Marie-Andrée de T. même si nous avions la même carte d’identité, étions possiblement née dans le même hôpital, et finirions pareillement en poussière. Ça m’a laissée perplexe quelques temps. Puis, un matin, sur le chemin du lycée, je croise un camarade de classe. Tandis que nous passons devant le temple protestant (où je croyais devoir aller seulement en cachette), le voilà qui s’exclame « Ah, il faudrait mettre une bombe là-dessous! » Les derniers mètres qui nous séparaient du lycée m’ont semblé insupportablement longs.

J’ai vu un jour un ami d’origine algérienne insister pour que nous quittions vite les bords de Loire. La nuit tombait. Il avait peur. Quand nous sommes passés près d’un groupe de jeunes gens désœuvrés, à l’allure étrange, ils nous ont insultés et craché dessus. C’était des skinheads.


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« ça n’est pas un nom français, ça! »


Quelques années plus tard, ayant perdu mon travail, et plus fauchée que les blés, je bénéficiais de la CMU (Couverture Maladie Universelle). Je vais pour me faire faire de nouvelles lunettes, avec des sous mis soigneusement de coté. Quitte à les avoir toute la journée sur le nez, autant en avoir des belles! Je choisis donc une monture qui me plait (pas la moins chère) et qui ne m’enlaidit pas trop. L’employé me prie de le suivre au comptoir pour enregistrer mon achat. Il voit que j’ai droit à la CMU, et dans le magasin bondé, commence à me faire remarquer que, quand même, je devrais peut-être choisir un modèle moins cher, compte tenu de mes revenus… Puis là, il voit mon nom. Il me le fait répéter et épeler trois fois, en disant bien fort que « ça n’est pas un nom français, ça! » Puis il insiste à nouveau très fort et très lourdement sur le fait que, quand on a la CMU, hein, il faut peut-être réfléchir à deux fois, avant de choisir une monture à… Excédée je lui réponds que je suis « française », et que je n’ai pas l’habitude d’acheter quand je n’ai pas l’argent pour, que je veux ces lunettes-là et pas d’autres. Dans la boutique, personne ne moufte.


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 Quelqu’un qui aime les autres n’est pas « français »?


En juin 2015, j’ai l’honneur d’aller à Rabat, au Centre Jacques Berque pour une formation d’anthropologie visuelle. Parmi les participants, hormis une professeur d’université, je suis la seule « française ». Au début, quelques plaisanteries innocentes, allusions plus ou moins volontaire à la colonisation… Moi, je reçois tout ça comme des gifles. Certes, je peux comprendre la colère et la méfiance des Tunisiens, Algériens, Marocains que j’ai devant moi. Je sais bien, pourquoi ils réagissent comme ça. Mais moi, je suis ici pour apprendre, et parce que mon grand-père est passé par Fès, Meknès… Je ne viens rien prendre, je ne me considère pas au dessus de qui que ce soit. Je suis en colère, et je pleure. Plus de blagues, après ça, mais des amis que j’aurai toujours grand plaisir à revoir.

Un jour, un ami africain, surpris de me voir écouter des chants peuls, lire des poètes malgaches et comoriens, faire une émission sur la littérature haïtienne, et aimer autant le Sahara me demande comment je fais pour m’intéresser autant aux autres, comment je peux être si peu « française ». Son étonnement me touche, et me fait aussi beaucoup de peine. Comment se peut-il, que quelqu’un de si peu exceptionnel que moi, lui semble avoir une attitude extraordinaire? Par quels tristes moments est-il passé, pour dire que quelqu’un qui aime les autres n’est pas « français »?

Je n’ai pas de réponse à cette question, ni à celle de savoir vraiment si je suis « française » ou pas, tant ce mot renvoie à des moments que j’aurais préférés ne pas vivre.

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Auteur·e

melpwyckhuyse

Commentaires

Mawulolo
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Bien compliqué ça.
Française à part entière ou entièrement à part ?
En tout cas, du courage

Warda
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Ô Mawulo, je ne sais toujours pas! :)

William
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Bsr,
ton ami "africain" (j'y reviendrai) n'est passé par aucun triste moment,enfin pas plus que les autres je présume.
C'est simplement que au delà des clichés les français sont en Europe (de l'ouest) probablement les plus renfermés. (À l'étranger) Ils bossent entre eux,ils étudient entre eux (ça au moins ça peut se comprendre),ils se detendent entre eux,etc.
Il m'est arrivé de croiser des français me dirent fièrement qu'ils ont "10 ans de Congo" et les mecs sont incapables de faire deux phrases correctes dans l'une des deux langues du pays.
Les suisses,allemands,suédois,anglais et autres nordiques (même dans les treks ici et là) sont dans l'ouverture et la découverte des autres.
Tandis que les français sont biberonnés à la grandeur du roi soleil,la magnificence de Versailles, et je parle même pas de la auto-proclamée PLUS BELLE AVENUE DU MONDE devant laquelle on devrait tous se prosterner.

Alors vu ce qui précède, j'aurais probablement été aussi surpris que ton ami africain.
Je regarde d'abord le match,je reviendrai sur ton ami africain plus tard....

En passant, j'apprécie ton ouverture.

Warda
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William, merci pour votre commentaire. J'ai parfois remarqué cette arrogance française dont vous parlez, et j'ai cru à chaque fois mourir de honte. Je me suis vue fuir ceux qui, un poing sur la hanche, l'air bravache, affirmaient avoir "fait le Maroc" ou quelqu'autre pays. Déjà, ça ne veut rien dire "faire le Maroc", ces gens ne savent même pas parler français. Rien que ça, c'est une bonne raison pour éviter leur conversation.
Faire, au sens de "fabriquer", comme "faire un gâteau"? Comme si des peuples avaient attendu leur petite personne en sandales de plastique pour être fabriqués! Les voilà qui se prennent pour dieu.
Faire, au sens de "jouer le rôle de", comme dans "faire la soubrette dans une comédie"?
Faire, comme dans "Faire des études", "Faire son droit", étudier? Etudier tel pays? Non, non, puisqu'ils ne sont pas sortis de l'hôtel cinq étoiles...
A l'étranger comme en France, je fuis ces gens. D'une part, ce sont les premiers à me rappeler que je ne suis pas "si française que ça", à me trouver des yeux étonnamment grands, une façon de parler comme ceci, des fesses comme cela. Et puis, d'autre part, parce que leur bêtise et leur inculture sont une chaîne à tous leurs malchanceux compatriotes curieux des autres, qui doivent essuyer à cause d'eux colère et méfiance partout où ils les ont précédés...

William
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Tu n'y vas pas avec le dos de la cuillère toi.

En passant j'ai vu sur ta bio que tu es INFIRMIÈRE PSY, c'est consiste en quoi au juste,le "psy" à côté?

Warda
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En France - théoriquement - le diplôme d'infirmier permet de travailler dans tous les services. Il n'y a plus à proprement parler de diplôme spécifique "infirmier psy" depuis les années 90... C'est un petit abus de langage. Comme je voulais travailler en psychiatrie en entrant en école d'infirmiers, et qu'on était déjà loin de 1990, j'ai fait une partie de la formation en apprentissage dans une clinique psychiatrique et mes stages optionnels en psychiatrie et art-thérapie. Ensuite, j'ai travaillé essentiellement en psychiatrie, en maison de retraite et en soins palliatifs. Des services où il y a relativement peu de soins techniques, mais où les personnes souffrent surtout moralement et ont besoin notamment d'écoute, de bienveillance et... d'humour!

FrankW
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Bonjour Warda,
Cette question d'identité française, d'identité tout court me frappe à au plus haut point. Pour ma part, elle vient même de ma migration. Moi, c'était la migration du savoir, pas économique. C'était dans les années 80.
Étonnamment, c'est depuis les années 2000 qu'il m'a été rappelé que je ne suis pas français. J'ai pourtant tout ce qu'il faut de la panoplie de celui qui "passe partout". Le vent a tourné et la direction va plus plongeant.
En fait, je ne supporte pas ce terme de "Français de souche". Je me demande si au final, être ancré comme à la danse, ce n'est pas condamner d'emblée l'ouverture d'esprit.
J'aurais beaucoup à dire par rapport à votre post. Ce dont je suis quasi certain, c'est que trouver une réponse à cette question est une vaine énergie. Surtout pour les citoyens du Monde. Je suis ici car, c'est un passage pour croître, rencontrer, m'enrichir. Français de racine? Non. Mais, je finirai poussière ou cendres. Et je serai près de la Terre. Humain de souche donc. Mais comme tout le monde quoi. :-) Rien de fracassant ici bas.
Regarder l'Autre pas avec la couleur de la peau encore moins avec le nom. Le mien n'est presque pas malagasy. :-D
J'aurais dit à vous lire que vous avez l'âme de couleur. Ne le prenez pas mal: c'est bienveillant!
Merci.

Warda
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Merci pour votre commentaire...