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Zamanana, Zieurouges et Manga - épisode 2

Suite du conte sauce gasy…

Si un animal vous dit qu’il peut parler, il ment probablement. Mais s’il dit qu’il sait lire, et que c’est vrai ? Et s’il ne dit rien, mais se contente de lire ? L’animal-lecteur ne serait donc pas intrinsèquement menteur. Un animal non-menteur et doué de compétences humaines. Et encore, tout le monde au village ne savait pas lire avant le Grand Engloutissement… Donc Manga qui sait lire serait-il plus humain que les humains qui ne savent pas ? Alors, existerait-il une catégorie de créatures, entre l’homme et l’animal, au dessus des animaux, mais tout de même en dessous de l’homme ? Oui, les êtres magiques. Enfin, ce n’est pas tout à fait pareil. Manga était-il un animal ? Manga était-il magique ? C’était perplexifiant, même pour un mpsikidy digne de ce nom.


« Bon, c’est pas le tout, hein mais je dois aller à une réunion secrète du Conseil des Sages pour savoir comment terrasser Zieurouges. Tu peux rester ici autant que tu veux. »
« Je vais me gêner ! », pensa Manga, en pilant un gros coussin de cuir.
Il faisait mine de lire, et observait du coin de l’œil le mpsikidy s’envelopper dans un lamba, de manière à cacher complètement son visage, puis sortir avec une prudence extrême.
« C’est l’heure à laquelle commence la nuit debout-debout ! » pensa Manga.


Au pied du manguier, se tenait une quinzaine de silhouettes enrubannées de lamba, qui se tenaient à la distance réglementaire de trois pas les unes des autres. Le Grand Maître prit la parole : « Chers frères, nous nous réunissons… » Guévara lui coupa la parole : « Et sœurs ! » Le Grand Maître reprit « Chers frères et sœurs, Guevara, s’il-te-plait, si tu veux prendre la parole fais signe, chers frères et sœurs, donc, nous sommes réunis ici pour décider comment il faudra manœuvrer pour se débarrasser de Zieurouges. » « Haaaan !!! » fit l’assemblée. Après une seconde de suspens, il poursuivit : « Les graines sont formelles, c’est l’âme du manguier sacré qui nous délivrera ! » « Aaaah » , fit l’assemblée, soulagée de n’avoir qu’à concourir par soutien spirituel à ce terrible combat. Une main sortit d’un lamba. « Litchi demande la parole ! La parole est à Litchi ! » Litchi : « En somme, nous envoyons une créature magique en zigouiller une autre. C’était simple ! Et si on passait à la dégustation de mangues, maintenant que nous avons la solution ? » Murmure d’approbation. « Ravitoto a une question ! La parole est à Ravitoto ! » Ravitoto : « Grand Maître ! Il y a ici un nouveau frère ! » Les lambas se tournèrent vers un petit lamba avec deux oreilles pointues. « Bien… Quel est ton nom ? » demanda le Grand Maître « Miark ! » répondit le petit lamba. « Miark ? C’est un drôle de nom, ça… Mais pourquoi pas. Sois le bienvenu, Miark. » Un lamba qui peinait à couvrir une volumineuse chevelure demanda la parole. « La parole est à Valiha ! » Valiha : « Grand Maître, puis-je commencer à jouer les airs rituels ? » « Oui, Valiha, nous sommes prêts. », répondit le Grand Maître. Valiha s’installa au pied du manguier sacré, et dans un silence respectueux, commença par étirer ses doigts, mouliner des poignets, et se détendre le dos.


Soudain, venant d’un lamba qui clignotait bleu, blanc, rouge,  Celebration des Kool&the Gang vint troubler la cérémonie. « Je… Je suis désolé, je… J’ai oublié de mettre le mode avion ! », bredouilla Ravitoto. « Bounty, va ! », grommela Litchi. « Bon, si vous avez fini de vous crêper le chignon, on va pouvoir poursuivre. », dit le Grand Maître agacé. « Misogyne, va ! » grommela Guevara. « En voilà, une façon de parler au Grand Maître ! », s’indigna Baobab. « Fayot, va ! », grommela Zébu. « Miark ! », dit Miark pour dire quelque chose. « Eh ben, on prend ses aises, Nouveau ! », grommela Ravitoto. Valiha toussota : « Hem… Si je vous dérange… Dites-le moi… »


Les lambas se ressaisirent. Valiha commença à jouer, les lambas commencèrent à tourner autour du manguier, d’abord lentement, puis calquant leur démarche sur la musique de Valiha, avançant en cadence, de plus en plus vite, faisant des « Houh ! » et des « Hah ! » aux moments opportuns. Sauf Miark, qui se bornait à « Mouh ! » et « Miah ! », mais par politesse, personne ne le lui faisait remarquer. Ce n’est pas bien de se moquer de l’accent des étrangers qui font tant d’efforts pour s’intégrer. Baobab eut une distraction en essayant de deviner les courbes féminines de Guévara, qu’il apercevait de l’autre coté du manguier sacré, perdit le rythme, et par malchance, marcha sur le lamba qui se trouvait être devant le sien. Le lamba se tendit, ce qui sortit Baobab de sa rêverie, lequel leva brusquement le pied, ce qui donna un élan inattendu à son propriétaire. Le Grand Maître – car c’était lui – trébucha sur Miark, et se voyant projeté vers le manguier sacré les deux mains occupées à tenir son lamba, s’exclama : « Za me meurs ! »

« Haaan ! » fit l’assemblée, voyant que la trajectoire du Grand Maître était magiquement déviée, comme une banane par une tornade, et qu’il ne s’échouait pas sur mais à côté du manguier sacré. Le long Zébu se précipita pour aider le Grand Maître à se relever :  « Grand Maître, c’est un accident du travail, je suis formel ! » Cabossé mais bien vivant, le Grand Maître regagna sa place dans le cercle : « Tu es bien gentil, Zébu. Mais la magie est avec nous cette nuit, il faut continuer à danser. » Zébu regagna sa place, après avoir lancé un regard narquois de premier de la classe à Baobab, qui tapota son lamba pour dissimuler mal son agacement. Valiha n’avait pas cessé de jouer. Les lambas reprirent la ronde des « Houh ! » et des « Hah ! ». Le rythme s’endiablait, « houh ! Ha ! Ouh ! Hah ! »


Ô, toi, qui le manguier habites, houh ! Hah ! Trajectoires et chemins connais Houh ! Hah ! Dans la nuit, ta vue, sans limites ! Houh ! Hah ! Pour le nez, que Zamanana te supplée ! Que ton courage ne se délite, s’il paraît, par un mythe tragique, que fleuris sur un tas de fumier ! Houh!Hah ! Houh ! Hah ! Du combat sortiras victorieux, si pour toute arme, es heureux ! Houh ! Hah ! Houh ! Hah ! La lumière éclaire l’ombre, ainsi ont parlé les ancêtres ! Houh ! Hah ! Houh ! Hah ! Houh ! Hah !


La ronde dura encore jusqu’à épuisement général. Constatant les silhouettes avachies qui trottinaient sans grâce autour du manguier, le Grand Maître rompit le cercle. « Aaaah ! » fit l’assemblée, et tous commencèrent à se congratuler, comme une équipe de foot victorieuse. Tous s’assirent, et commencèrent la dégustation de mangues. Baobab prit un ton mielleux pour demander à Guévara de lui en éplucher une ; elle lui dit d’aller faire se cuire un œuf, mais en éplucha une pour Valiha. Zébu s’inquiéta de ce que la gloutonnerie de Litchi prive Manga, qui était le plus petit d’entre eux, amen, avant de s’apercevoir en riant que Manga était d’une habileté redoutable pour attraper les plus beaux fruits. Ravitoto demanda la parole : « Nous t’écoutons, Ravitoto ! », dit le Grand Maître, la bouche pleine. « Merci. Alors, voilà, je voulais vous dire que je suis désolé pour le téléphone, tout à l’heure, mais quand même, me faire traiter de Bounty, c’est plus fort que le roquefort ! » Silence gêné. Plus personne ne pensait à cet incident. « C’est quoi, le roquefort ? » demanda à mi-voix Litchi à Baobab, qui ne savait pas. « Miark ! » dit Miark, en poussant vers Ravitoto une mangue sublime qu’il gardait cachée pour son dessert. Derrière son lamba, le Grand Maître leva les yeux au ciel. Ça commençait à bien faire, il était temps de sonner la fin de la récré. « Bon, nous sommes tous fatigués, et une rude journée nous attend demain. Résumons ce que nous annoncerons demain au village : Manga, la créature vivant dans le manguier, avec Zamanana, doit se rendre jusque dans l’antre de Zieurouges pour la terrasser. Manga a un destin particulier, un secret entache sa naissance, et il faudra aussi le découvrir et le dépasser pour nous sauver tous. » « Amen ! » répondit Baobab, qui fit face à un silence outré, toussa, demanda pardon. Un sourire dans la voix, le Grand Maître poursuivit : « En vérité, je vous le dis, avant que l’abrutissement ne soit complet dans ce village, il faut que Manga et Zamanana s’acquittent de la mission pour laquelle les désignent les ancêtres. Ils partiront demain à la tombée du jour, et en profiteront pour déposer ce dossier de demande de subvention pour regarnir la bibliothèque municipale auprès de l’Institut Français. Ainsi ai-je dit pour ce soir ! » « Houh ! Hah ! » répondit l’assemblée, avant de se disperser.

Resté seul, Miark quitta son lamba au pied du manguier, redevenant ainsi Manga – comme personne ne s’en doutait – et grimpa se coucher. Regardant le village depuis son perchoir, il pensa « Ô rage, ô désespoir ! Ô engeance ennemie ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Et ne suis-je roussi dans les travaux manguiers Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? » Alors qu’il se lamentait ainsi, une mangue pourrie, qu’il n’avait pas vu venir, s’aplatit sur son flanc. Alors, il rit, et s’endormit…

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Auteur·e

melpwyckhuyse

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