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Les Chinois à Paris - Jean Yanne - 1974

Fera-t-on jamais assez l’éloge du nanard? Je m’étais déjà penchée sur sa valeur d’archive. Et puis, à la faveur d’une connexion haut-débit, voilà que j’ai regardé Les Chinois à Paris, et, j’ai trouvé sa succulente nanardise d’une furieuse actualité.


No nanard ex nihilo!


1974, une bien belle année pour une histoire de Chinois envahisseurs.
Avril : Révolution des Oeillets  au Portugal.  Chute de la dictature salazariste qui écrasait le pays depuis 1933.  Rébellion de l’armée, conduite par sept jeunes officiers. La foule envahit les rues de Lisbonne, fraternise avec les militaires, leur offre des œillets dont ils ornent leurs fusils. Instauration de la démocratie.
Juillet : fin de la Dictature des Colonels en Grèce. Sept années de dictature, après le coup d’état du 21avril 1967 qui porte au pouvoir une junte militaire, qui disait vouloir lutter contre la menace communiste imminente.
Et puis, 1974, était aussi une année d’élection présidentielle dans notre cher pays. Qui fut élu? Monsieur Giscard d’Estaing.

Le mythique « Au revoir »

Littérature
Les Chinois à Paris
est réalisé par Jean Yanne, d’après le roman de Robert Beauvais; scénario de Jean Yanne et Gérard Sire. Et, en matière de référence littéraire, comment ne pas citer l’essai d’Alain Peyrefitte, best seller de l’année 1973 : Quand la Chine s’éveillera… Le monde tremblera.

Filmographie
Il s’agit d’une comédie dans la veine salace et gros-sel-sur-plaies-mal-refermées, genre cher à Jean Yanne. « Comédie satirique », on dit.

1972 : Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Jean Yanne s’en prend au monde de la radio
1973 : Moi yen a vouloir des sous. Cette fois-ci, ce sont les syndicalistes et les capitalistes qui dégustent.
Dans ce troisième film, il met en scène une invasion pacifique de la France par les Chinois. A l’époque, cela avait grandement déplu aux maoïstes, variété politique n’ayant plus cours aujourd’hui sous nos latitudes. Il faut dire qu’il y va fort, le Jean Yanne. Dans ce film, une adaptation de Carmen, de Bizet, sauce coco, avec tigres de papier, chiens capitalistes et drapeaux rouges  : Carmeng. A chacun d’apprécier s’il y a ici quelque chose approchant la notion de « révolution culturelle »…

A titre indicatif, voici un article de 2013, publié sur le site de Le Monde, proposant des extraits d’un grand spectacle organisé par la Corée du Nord à l’occasion de l’ouverture des Jeux Olympique; spectacle mêlant danse, théâtre, gymnastique.


J’avance masqué


Mais ce « monument de vulgarité », comme le décrit alors le journal Le Monde, s’en prend davantage aux compatriotes de Jean Yanne qu’au noble peuple chinois.
En 1974, les souvenirs de la Seconde Guerre Mondiale sont vifs encore. Mettre en scène un pays occupé – par la Chine – est l’occasion de montrer à l’écran ce que certains faisaient mine d’avoir oublié; à savoir que, pour qu’un pays soit occupé, cela nécessite l’assentiment et la pleine collaboration d’une partie de la population. Le « péril jaune » – terme de l’époque – est un prétexte rêvé.
On voit ainsi des journalistes, ecclésiastiques et autres membres du gouvernement faire une cour assidue au général Pou Yen, tandis que le Président de la République Française (Bernard Blier) a courageusement plié bagage, et s’est envolé aux Etats-Unis, pour revenir triomphalement à la fin de l’Occupation.
On voit aussi ceux qui, faisant fi de toute conscience politique, se situant du coté du profit, trouvent comment tirer parti de la situation. Jean Yanne se donne donc le rôle de Régis Forneret, propriétaire d’un sex shop, et qui à la faveur de l’occupation (chinoise) devient un vrai roi du marché noir. A la fin de l’Occupation, il disparaît, les poches pleines, et va continuer tranquillement ses petites affaires un peu plus loin.
On voit aussi une bande de lâches et de dégonflés, les fameux « résistants de la 25ème heure », qui prennent les armes lorsque le danger est assez loin, et tondent quelques femmes au passage.

Dans la France de 1974, où l’on voulait croire – ou se convaincre – que la France était un pays de résistants, où certains, pour des raisons évidentes, tentaient de détourner l’attention de leur enrichissement soudain au cours des dernières décennies, ce film a évidemment été très mal perçu.
Les attaques portèrent tout naturellement sur la vulgarité du propos. Rappelons qu’entre 1973 et 1984, le cinéma X est en plein boom en France. En 1973, sur 200 films produits en France, 19 sont des films X. 58 sur 214 en 1977. 142 sur 302 en 1978. On a alors du mal à imaginer que la nudité et l’humour salace outraient la France des années 70. D’ailleurs, en 1974 sortait aussi Les Valseuses de Blier. En 1975, Les Galettes de Pont-Aven, et Comme la lune de Seria, et Calmos de Blier. Alors ce n’est surement pas une paire de fesses qui faisait se frotter les yeux. Pour que les choses soient claires, loin de moi l’idée de faire l’apologie du film X, qui véhicule très souvent une image dégradée de la femme. Cependant, ce film rappelle bien que la « moralité » est une excuse bien commode pour détourner le regard de ce qu’on veut surtout laisser dans l’ombre.

A la veille de l’élection présidentielle et avec tout le devoir de réserve qui s’impose à moi, je voudrais inviter mes lecteurs potentiels à voir combien un film de seconde, voire de 44e zone, peut éclairer notre situation actuelle. N’a-t-on pas vu récemment certains s’acharner, dénoncer, exposer sur la voie publique la vie privée de certains autres, au nom de la « moralité »? Voici que l’on nous signale des « fesses impies ». Où est donc le « marché noir », dont on veut détourner notre regard? Quel parallèle faire – ou ne pas faire- entre l’élite ou démissionnaire ou collaborationniste du film? Tiens, et si la « peur de l’invasion », la menace culturelle, le « remplacement » avaient une saveur bien sinistre, et un écho dans certains discours actuels? A quels marchands de pousse-pousse profitent nos peurs?


Transgressif? Non, subversif!


Ainsi, comme dans de nombreux nanards des années 70, l’humour est grivois, bête et méchant, et ne se contente pas simplement d’être transgressif, comme peut l’être un enfant qui fait pipi par terre, ou un adolescent qui fume du shit, pour le plaisir de ne pas respecter les règles , pour sortir du cadre imposé par papa et maman et par « la société ».
Le nanard est subversif, c’est à dire que, par la critique de la société qu’il porte, il est susceptible de bouleverser l’ordre établi, de détruire les principes sur lesquels reposent notre société. Et pour qu’une démocratie vive, il est à souhaiter que se révèlent bien vite des artistes au talent subversif, plus que gentiment transgressif.

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Auteur·e

melpwyckhuyse

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