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Titaÿana, une femme chez les chasseurs de têtes #1

1920. Elisabeth Sauvy, dite Titaÿana, est l’une des rares femmes françaises qui accède au statut de grand reporter. Les éditions Marchialy rassemblent certains de ses reportages littéraires à travers le monde en un volume, Une Femme chez les chasseurs de tête, paru en 2016.
Cet article est en 2 parties.


I. Etre une femme


Une femme « paresseuse »?
Titaÿana, de son propre aveu, se montre rapidement incapable de vivre la routine d’une vie de secrétaire, et d’attendre le bus tous les matins. Elle dit être devenue journaliste « par paresse ».


Mon éducation ne m’avait pas préparée à prendre un métier : j’avais passé mes baccalauréats, mon brevet supérieur, une licence en théologie, je parlais trois langues, j’avais suivi des cours avancés en mathématiques et en droit. En somme, je connaissais l’étude et ignorais le travail.


Dans Les dessous de ma vie d’aventure, Titaÿana montre combien elle a du faire preuve de ténacité pour qu’un monde d’hommes prenne au sérieux son souhait de partir seule dans des contrées lointaines et et sa capacité à endurer la fatigue physique, la faim, le froid, la chaleur intense, à faire face à de multiples dangers, pour ramener des reportages passionnants. Vu la difficulté qui transparaît dans ses reportages – jambe cassée, maladie, privations alimentaires -, la « paresse » est toute relative. A moins de considérer que l’anti-conformisme est une paresse, ce qui, somme toute, est une pensée plutôt bourgeoise.

Une femme indépendante?


Mais je redoutais de revenir en France, dont j’avais emporté un souvenir d’angoisse. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas de place pour une femme seule cherchant à gagner sa vie. Le souvenir de calomnie et de méchancetés faisait battre mon cœur et monter en moi des révoltes contre l’injustice des indifférents, des camarades, et des soi-disant amis.


Près d’un siècle plus tard, il faut bien se résoudre à admettre qu’il est toujours bien difficile en France pour une femme seule – c’est à dire ni « femme de », ni « fille de » – d’accéder à un poste à responsabilités, au même salaire que ses pairs masculins, à compétences égales. On encourage un homme qui se lance dans l’aventure, alors qu’on demande toujours à une femme « Tu es sûre ? Ça va aller ? Tu vas y arriver? », et qu’on s’ingénie à semer des embûches sur son parcours pour l’empêcher d’avancer. On la placardise si elle se montre trop compétente, voire on la harcèle, pour bien lui rappeler qu’avant d’avoir un cerveau, elle est une matrice. Si une femme reçoit un prix Nobel, les journaux titreront « Incroyable, c’est une femme ! », alors que ce détail n’a en soi aucune importance.

Cependant, si Titaÿana fait preuve d’une rare force de caractère, il est vrai aussi qu’elle ne vient pas de nulle part. On peut supposer que son entourage familial était tout de même assez favorable : une famille de propriétaires terriens et de vignobles du Sud de la France, où se trouvent plusieurs élus, un commandant d’armée ; et où on laisse étudier une fille plutôt que de borner ses horizons au métier de mère de famille. Aurait-elle eu cette capacité à se jeter dans l’aventure, à aller de l’avant, à s’affirmer comme journaliste, sans un contexte familial où il n’y a pas de peur du lendemain, et où il y a un intérêt pour le savoir ?

Une femme qui n’aime pas les femmes ?


D’autres femmes trouvent la Joie dans un miroir. Moi, longtemps avant d’être vieille, je recrée la mienne en fermant les yeux : la mienne d’avoir traversé ce pays de mort lente, et d’en être revenue.


Titaÿana se montre assez dure envers les femmes qui ne sont pas de sa trempe ; et celles qui apparaissent dans ses récits, qu’elles soient la femme de gouverneur hollandais, des persanes, une jeune arménienne, apparaissent surtout préoccupées de leur tenue, de leur beauté, et assez simples.


Lorsqu’un tchador s’entrouvre, robe perlée, corsage décolleté arrivent en droite ligne d’on ne sait quelle boutique d’exportation. Le voile des femmes laisse le visage à découvert, surtout lorsque le visage est jeune et frais. Je sais gré aux femmes persanes d’avoir su faire leur charme de cette prison qui leur était imposée. Leur grâce, dans leur coquetterie à se voiler et dévoiler, laisse toujours voir la partie la plus attrayante de leur visage. Celles dont la denture laisse à désirer se voilent la bouche, celles dont les yeux qui louchent feraient oublier l’ovale du menton, rabattent pudiquement le grillage sur leurs yeux. Ainsi ont-elles la politesse charmante d’offrir au passant ce qu’il désire d’artificiel et de vrai.


On lit sur plusieurs site internet que Titayana était « féministe avant l’heure ». Pourtant, considérer que d’autres femmes font preuve d’une « politesse charmante » en s’offrant au désir du passant, et que leur charme réside principalement dans des effets de voile, semble assez réducteur pour les persanes, et assez loin d’une pensée féministe… Le fait d’arme de ces femmes, c’est d’utiliser le voile pour attiser le désir masculin. Mais elle ne nous rapporte pas grand chose d’autre sur elles. D’ailleurs, ses compagnons de voyages sont surtout des hommes, voire uniquement des hommes.
Ces femmes lointaines lui renverraient-elles l’image de la femme qu’elle ne veut pas être/ne sait pas être en Europe?

Titayana a un style vif, vivant, elle arrive à donner à voir ses aventures rocambolesques, et n’oublie pas d’être drôle. On le voit par exemple dans cet extrait de La Caravane des morts, où il est question d’une « grosse femme verte », qui semble être son double inversé. Un vrai moment de cinéma burlesque :

Extrait lu

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Auteur·e

melpwyckhuyse

Commentaires

Compas Patrick
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Bonjour,
J'apprécie beaucoup votre travail. le style de vos reportages sur mondoblog puis soundcloud au plaisir de vous rencontrer au coin de la rue.

Warda
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Bonjour Patrick,
Merci pour votre commentaire. Je découvre avec plaisir vos carnets sonores. Vive la radio!