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Une lettre mystérieuse...

Un très grand hasard a fait arriver dans ma boîte mail ce courrier qui ne m’était pas destiné. Afin d’en retrouver l’auteur et les destinataires, et puisque je m’en voudrais trop de ne pas concourir de mon mieux à faire connaitre cet exemple de modestie et de piété familiale, je le partage ici.

Mes bien chères tantes,

Il semblerait que vous êtes soucieuses de mon avenir matrimonial. Il faut bien dire, que, lorsque l’on atteint un âge canonique comme le mien, il est grand temps de s’en préoccuper. Voilà que j’entame ma trentième année sur Terre, âge auquel certaines d’entre vous étaient déjà grands-mères.
Je suis – pourquoi s’en défendre – déjà un fruit un peu blet. Et votre tache s’annonce ardue. A l’époque de mes quinze ans, tout le monde s’accordait pour me trouver une grande beauté et, si je n’avais pas de dot, le respect qu’inspirait le nom de mon grand-père suffisait à faire oublier que mon père, son gendre, avait disparu avec la quasi totalité de l’argent dont avait hérité ma mère, peu après ma quatrième année, et qu’elle était morte, ivre, au volant d’une voiture d’importation, après avoir dilapidé le peu qu’il restait en futilités. Et donc, beauté et nom du grand-père avaient suffit à décider une famille de riches paysans qui était venue à bout du stock de cousines nubiles. Évidemment, pour que le marché soit conclu, il fallait que j’arrête immédiatement mes études : une digne épouse ne pouvait pas avoir la tête dans les livres, plutôt qu’au dessus d’une marmite. Mais, comme la plupart des enfants abandonnés aux soins des sœurs blanches, si je savais lire plusieurs langues, je n’avais pas la moindre notion efficace et utile pour tenir un ménage. Le jeune homme s’en aperçut vite, il était plein d’amour et de compassion, et n’en dit rien. Il savait suffisamment lui-même les choses de la maison. Évidemment, lorsqu’il fut temps de prendre à l’essai cette future épouse, la mère du garçon découvrit avec colère que je continuais mes lectures, et que je ne savais pas même vider un poisson ou cuire un gâteau. Rendez-vous compte. J’aurais fait mourir de faim son fils. En plus, je restais assez discrète sur mon souhait d’être mère dès que possible. Il apparut vite que mon pedigree n’était peut-être plus si avantageux. La suite, vous la connaissez. La mère vous a menacées de ne pas vous donner la somme promise pour une épouse convenable, alors, vous avez trouvé une autre jeune fille. Moins belle, mais plus fortunée, et qui avait été élevée pour être une bonne épouse. On ne m’en a rien dit. J’ai juste vu quelques fois encore devant l’école des sœurs le jeune homme. Je le guettais des heures à la fenêtre. La dernière fois, il m’a serrée fort dans ses bras en pleurant, puis je ne l’ai jamais revu. Et je suis restée chez les bonnes-soeurs. J’avais trop honte de toute façon, et trop de peine, pour en sortir. Puis je suis partie très loin pour continuer à étudier. J’ai réussi. Et comme en atteste vos demandes d’argent pour venir en aide au village, cela ne vous a pas échappé. Je suis vieille, mais je suis riche aussi, et je vis dans ce pays lointain, et voilà que brille à nouveau le nom de mon grand-père. Alors, me voilà devenue un bon parti. Mais vous savez, ici, j’ai pris de très mauvaises habitudes… Je me suis acclimatée à un confort excessif, je me nourris de fruits et de pain, avec du thé, je lis très tard, me lève très tôt, et fais plusieurs petites siestes dans la journée, pour être en forme pour sortir en ville le soir au cinéma ou au spectacle. Je donne de l’argent à une femme pour qu’elle fasse mon ménage et ma lessive. La vaisselle, ce n’est pas la peine, je n’en salis pas. Je voyage dès que je le peux. Je donne de l’argent aux pauvres. Je fume parfois. Je ne fréquente pas les hommes, c’est bien là ma seule vertu. Voyez, si grand que soit votre pouvoir de persuasion, je vous resterais immanquablement sur les bras. Alors, surtout, je vous en prie, épargnez-vous une peine inutile, une vexation certaine, une perte de prestige inévitable.

Quant aux frais déjà engagés en temps, en pourparlers dont vous me parlez ; j’ai ici les carnets de compte de mon grand-père. Comme vous le savez, c’était un homme juste, généreux, mais c’était aussi un homme rigoureux et précis. Je vois donc que le boulanger lui doit deux fois plus que ne lui doit le professeur, ce qui représente à peu près le quart de ce que lui doit le rebouteux. Je vous propose donc d’aller réclamer votre dû à ces messieurs. Par ailleurs, celle d’entre vous qui est proche de mon père et s’est vu offrir ce très beau collier – voir pièce jointe – peut s’estimer dédommagée par mon grand-père. Oui, la vraie sorcellerie, c’est Instagram. Quand on se prend en photo devant une vitrine de bijoutier, il faut s’assurer qu’il n’y a pas de reflet.

Mes tantes bien-aimées, je vous remercie infiniment de vos bons soins qui m’ont accompagnée toutes ces années. Et, si vous réclamez également au garagiste et au tailleur les sommes dues à mon grand-père, vous pourrez vivre paisiblement encore de longues années, sans plus avoir à vous soucier de l’avenir des autres. Ainsi, vous n’aurez pas fait tout cela pour pas un rond.

Je n’ose vous dire que je vous embrasse, car vous savez comme moi qu’il est toujours coûteux de se montrer trop tendre avec une vieille carne.

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Auteur·e

melpwyckhuyse

Commentaires

Martine Comlan-Cataria
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Bonjour,

J'aimerais recevoir vos billets dès que vous les publiez,
ou recevoir un email m'informant que vous avez publié un nouveau billet,
ou m'abonner à votre blog ,
mais je ne trouve aucun lien pour l'une ou l'autre de ces possibilités sur votre blog.
Comment faire?

A part ça, où avez-vous trouvé ce mot "dahü" que je croyais typiquement suisse?
Merci

Warda
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Bonjour Martine, merci pour votre commentaire. Malheureusement, je ne sais pas du tout comment on peut s'abonner à un blog... N'y a-t-il pas un flux rss? Sinon, vous pouvez venir régulièrement ici! :)
Le dahu se promène partout, voyons, surtout là où on ne l'attend pas!

Alexandraa
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Warda, j'ai lu d'un trait. J'ai aimé. Beaucoup! La sincérité et la froideur de la dame qui a envoyé ce mail par erreur chez toi... Le célibat n'est pas un drame.

Warda
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Bonjour Alexandra ! Je suis contente que tu aies lu et apprécié ce mail. Si il est voulu, non, le célibat n'est pas un drame.