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Théâtre : roulez, jeunesse!

Consternée depuis longtemps par de nombreux programmes télévisés, publicités, jeux à destination des enfants, où on propose aux filles d’être de souriantes princesses pleines de paillettes et aux garçons de faire des trucs vachement plus aventureux à l’extérieur, où l’absence de fond n’a rien à envier à la laideur du dessin, ou le vocabulaire est indigent et les voix criardes, je fus tôt gagnée par la conviction que sur cette Terre, certains artistes avaient une conscience aiguë de l’intelligence des plus jeunes, et qu’il fallait, comme une petite plante prometteuse, lui donner bien des choses, pour qu’elle grandisse, et que demain ne soit pas peuplé d’abrutis à la tête vide, serviles, crédules, et dont le pouce préhenseur ne servirait plus qu’à cliquer sur une télécommande ou à envoyer des sms.

A l’occasion d’une formation sur les Écritures Théâtrales Jeunesse proposée par l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale) et THEA – OCCE (Théâtre Coopération Ecole) à la MGI (Maison du Geste et de l’Image, Paris), j’ai eu le plaisir de découvrir des auteurs de théâtre jeunesse, qui écrivent avec impertinence, drôlerie, poésie pour les enfants des pièces sur tous les sujets qui peuvent susciter l’incompréhension, la douleur ou la peur chez un enfant – je n’énumère pas, vous n’avez quand même pas déjà perdu la mémoire! Et de façon totalement partiale, parmi les nombreux auteurs présentés par Katell Tison-Deimat, je partage mes petits préférés:


Philippe Dorin
Ils se marièrent et eurent beaucoup

Et puis nous n’étions pas là pour enfiler des perles. Alors, à la demande de Dominique Paquet et de son atelier d’écriture, nous avons consenti à produire un petit kekchose, en trente minutes, en se donnant secrètement la contrainte d’intégrer en clôture, en plus de l’incipit imposé, les deux citations provenant de poubelles de – vrais – auteurs offertes le matin même par Katell Tison Deimat dans des exercices de mise en voix:

Une ruelle sombre. Fin d’après-midi. IL, assis par terre, sur un ballon à plat. Une vielle clocharde, avec un déambulateur où pendent plein de sacs plastiques multicolores.

IL – N’approche pas, pouilleuse!
La Vieille – regarde le public – Voilà, qu’est-ce que tu veux répondre à ça… (à part) Petit con… ça a pas dix ans, et ça pense, et ça voit comme tout le monde… comme les adultes raisonnables. (avance péniblement d’un mètre, toute sa quincaillerie ballotte.)
IL – N’approche pas, pouilleuse, sinon…
La Vieille – ton mordant et tendre – Sinon quoi, mon chou? Tu te lèves, et tu montres à tous ces braves gens, là (regarde le public) que j’aurais de bonnes raisons de te répondre « Tais-toi, pisseux »? (Elle rit un peu méchamment)
IL – honteux, entoure ses genoux de ses bras – Comment tu sais ça, vieille bique?
La Vieille – se venge un peu – oooh! oh oh oh! Mais ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à manger la banane! Voyons, voyons… (S’accoude au déambulateur. Air inquisiteur) SOIT, il est dans les quatre heures, et c’est pas les vacances. OR tu es assis devant l’école, tout seul, caché derrière mes poubelles. Ton ballon est crevé, et si j’en crois mes narines habituées à ce genre de fumet, tu pues la peur et la pisse. DONC tu t’es fait avoir pendant la… (hésite) la « pause méridienne » (fière d’avoir réussi à caser cette expression, minaude) par ceux qu’ont les trottinettes de marque et les vraies Converse…
IL – Mamie… T’es détective, ou quoi?
La Vieille – Non, j’ai rien d’autre à faire de mes journées que vous regarder jouer. Avant, temps en temps, je pouvais encore distribuer des coups de canne, mais comme tu vois, le temps ne fait rien à l’affaire…
IL – Ben, heureusement que t’es une vieille qui pue, parce que tu sais, de nos jours, les gens qui matent devant les écoles, eh ben, on les embarque dans la camionnette bleue, et aucun n’en n’est jamais revenu, même pas ceux qui voulaient jeter les livres portographiques de la bibliothèque de l’école.
La Vieille – Ben ouais, vieux, et insoupçonnables… C’est pour ça que je vais me venger, moi, des trotinetteux qu’ont rasé mon chat. Tu m’aides?
IL – se lève, tenant son ballon sur ses fesses – On torture le plus laid?


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Auteur·e

melpwyckhuyse

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