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Glottophobie : tu m'en diras tant !

Image par 🎄Merry Christmas 🎄 de Pixabay

L’accent. L’assen. Avé l’assent…

Il y a, en France, des « minorités visibles », mais aussi des « minorités audibles ». C’est à dire ceux et celles dont la langue se teinte de leur région de naissance : accent du Nord, accent du Sud, de l’Est, d’outremer, de la campagne, etc. Ces variantes au français lisse des élites de la capitale est une source inépuisable de plaisanteries, souvent un rien condescendantes, et sert même de ressort comique dans des films grand public, tel Bienvenu chez les Ch’tis, autour de l’accent du Nord. La bande-annonce est édifiante.


https://www.youtube.com/watch?v=OycTfchnopU

L’accent du Sud n’est pas épargné. Et une figure emblématique, incontournable pour les amateurs de cuisine traditionnelle, c’est Maïté, cuisinière émérite, toute en rondeurs et en gourmandise. Ne boudez pas votre plaisir devant cette vidéo culte. Cependant, le visionnage est déconseillé pour les âmes sensibles et les défenseurs des animaux.



Avoir « un accent », ça fait populaire, plouc, beauf, exotique, c’est « mignon », ça fait rigoler. Bref, c’est quand même souvent la honte. Certains, notamment ceux qui rêvent d’élévation sociale, et veulent surtout se différencier du peuple, cherchent à s’en débarrasser.
Parfois, vouloir masquer son accent, cela créé un nouvel accent. A Marseille, on appelle cela « l’accent jambon » : les Marseillais bourgeois voulant avoir l' »accent pointu », whitiser, en quelque sorte, mais qui n’y arrivent pas.


« L’accent jambon, faut être de Marseille pour connaître. Et encore. On a plus de chance de l’entendre dans les quartiers chics que sur le Vieux Port. Les prolos disent que c’est l’accent de la bourgeoisie. Les bourgeois disent que c’est celui des nouveaux riches. Il y a de la distinction dans l’air peuchère, comme dirait Bourdieu. En gros, c’est un accent provençal qui se retient de chanter. Un accent qui monte dans le nez. Où les ‘en’ se prononcent ‘on’, comme dans ‘tout simplemont’. »

https://www.arteradio.com/son/616508/l_accent_jambon

L’accent jambon – Un documentaire de Lucie Geffroy pour arteradio.com

A dire vrai, si avoir un accent est source de blagues un peu lourdes, voire racistes, on peut parler de discrimination, et précisément de glottophobie. En effet, aucun média radio ou télé national, ou presque, en France, n’emploie de journaliste pourvu d’un fort accent régional.

« (…) en 2017, Pascal Doucet‑Bon, alors directeur délégué de l’information à France Télévisions, assumait de ne pas recruter certains journalistes du fait de leur accent en ces termes : « Si un journaliste… avec un accent à couper au couteau arrivait à la télévision, bah, non, je ne vais pas le prendre. Et je défendrai l’idée de ne pas le prendre parce qu’on ne comprend pas ce qu’il raconte »

Proposition de loi nº 2473 visant à promouvoir la France des accents

Pas de ça chez nous ?

Il est rare de voir des ministres, diplomates, universitaires avec un accent. Voici une intervention – évidemment comique – d’un député MODEM du Béarn, Jean Lassalle, au sujet du permis de conduire. On notera qu’il évoque au passage un « test de Q.I. » passé dans son enfance, alors que le français était sa troisième langue ; sa langue maternelle est l’occitan.



La France est dotée, en ce bout d’an 2020, d’un Premier Ministre, Jean Castex, avec un « accent ». Pour faire avancer le schmilblick, Michel Feltin-Palas, spécialiste des langues régionales, rédacteur en chef à L’Express a, avec Jean-Michel Aphatie, écrit un livre intitulé : J’ai un accent, et alors ?. On le voit ici en interview chez RMC, dans l’émission de l’exaspérant Bourdin, qui lui coupe tout le temps la parole, pour raconter sa propre vie. Michel Feltin-Palas arrive tout de même à expliquer le ridicule de cette crispation sur l’ « accent » : nous en avons tous un.



On l’aura compris : avoir un accent entraine des discriminations à l’embauche et discrédite n’importe quelle prise de parole, même sensée. C’est ainsi que le 3 décembre 2019 a été formulée à l’Assemblée Nationale une Proposition de loi nº 2473 visant à promouvoir la France des accents et à faire inscrire dans le code pénal et le code du travail l’impossibilité de discriminer quelqu’un sur son « accent ».

Dans un pays qui s’emploie à lutter contre les discriminations sous toutes leurs formes, on considère, en d’autres termes, que les sonorités qui pèsent sur la prononciation des mots peuvent justifier un traitement inégal dans l’accès à l’emploi et aux fonctions particulièrement exposés publiquement, même lorsque les exigences grammaticales et syntaxiques de la langue sont parfaitement maîtrisées.

Proposition de loi nº 2473 visant à promouvoir la France des accents

La minute cinéma

Pour terminer cet article, je voudrais dire un mot du film Roubaix, une lumière, d’Arnaud Depleschin.
Roubaix est une ville pauvre du Nord de la France ; c’est la ville natale du réalisateur. Il s’est inspiré d’un fait divers réel pour écrire son film. Les « accents » y ont un rôle important.



Dans cette bande-annonce, on entend déjà plusieurs accents, mais il en manque, que l’on retrouve dans le film.
Le commissaire Daoud, fils d’immigré nord-africain, incarné par l’excellent Roschdy Zem, parle un français parfaitement lisse de Paris. Dans le cas de ce personnage, cela peut être interprété comme la marque de quelqu’un qui s’est battu pour s’élever socialement, et son parler reflète le statut acquis. Ce même « accent lisse de Paris » rend, à mon sens, Léa Seydoux peu crédible. En effet, elle est sensée jouer une femme toxicomane, en situation d’extrême précarité, dont le fils a été placé, mais elle parle la même langue que le commissaire, sans accent populaire. Même parler pour Louis, le jeune flic pieux fraichement débarqué à Roubaix.

Dans cette bande-annonce, on entend aussi l’ « accent des quartiers », par le jeune homme qui incarne Farid. Alouane, l’oncle de la jeune Soufia Duhamel-Hami, et M. Hami, son père, ont un « accent d’Afrique du Nord ». Soufia, au français presque lisse, fugue, et veut laisser le nom de sa mère (Duhamel), pour celui de son père (Hami), et être Soufia, et pas Sophie : elle veut un nom arabe, car elle se sent arabe. Fatia Belkhacem, la copine de Soufia, a quant a elle un nom arabe, et un fort « accent du Nord ». La présence de ces « accents » ajoute une dimension, une densité autre à ce film et aux personnages. Il dit autant, voire plus, que le costume et le décor. Il permet d’imaginer le parcours des personnages, leur histoire, sans avoir à les raconter. Il est a noter que de nombreux petits rôles ont été confiés, avec bonheur, à des comédiens non professionnels, et cette approche « docu-fiction » permet aussi de documenter le rapport complexe des Français aux accents.

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Auteur·e

melpwyckhuyse

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