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Parce que Julien Clerc ne préside pas aux destinées

Dosso Dossi (c 1489–1542), Melissa (Circe) (c 1518-1531), oil on canvas, 176 × 174 cm, Galleria Borghese, Rome. Wikimedia Commons.

Pour l’Etat Français, mon premier prénom, c’est Mélissa ; prénom que je me traîne comme un boulet depuis mon adolescence. En effet, pour mon malheur, un chanteur de variétés a sévit en France dans les années 80-90, et a commis une chanson « Mélissa ». Il y est question d’une belle femme métisse qui se promènerait nue chez elle, et qui se fait mater par tout le monde.

En 2021, après #metoo, on a du mal à imaginer qu’une chanson faisant presque l’apologie du harcèlement, de l’inaction de la police, et de l’impunité totale de ceux qui agressent une femme, puisse faire un tube. Il semble qu’à l’époque, on trouvait amusant et poétique de chanter une meute de chiens excités qui s’en prennent à une femme non consentante, qui après tout, l’avait bien cherché quand même. Elle n’avait qu’à pas être belle et désirable, tant pis pour elle.

Quand j’étais adolescente, très timide, je vivais très mal les allusions que faisaient des hommes de l’âge de mon père à cette chanson, en me regardant d’un œil égrillard. Puisque je m’appelais « comme dans la chanson », on avait le droit de me mater comme un bout de viande, de me renvoyer au fait que j’étais sans doute une fille facile.

Si Julien Clerc a des origines guadeloupéennes, cela n’enlève rien aux préjugés racistes de ceux qui écoutent ses chansons. Ils me renvoyaient que « Melissa » est « exotique », « métisse », et comme toutes les femmes répondant à ces deux critères, j’adore être matée, et « ne pense qu’à ça ». Comme si ces femmes étaient génétiquement programmées pour répondre aux pulsions de types incapables de se contrôler. Résultat, je me trouvais moche, grosse, et je faisais des détours pour éviter le bar du coin.

Combo

Et puis cerise sur le gâteau, après les regards sales et les allusions lourdes, il y eut le racisme social.

Bah oui. Chanteur de variétés = France d’en bas. Écouter Julien Clerc, ça fait beauf, au milieu des gens qui écoutent de la musique classique. Et puisque vous vous appelez Mélissa, c’est forcément parce que vous écoutez ce genre de musique. Si vous vous appelez Charlie, c’est forcément parce que vous habitez dans une chocolaterie. Si vous vous appelez William, vous aimez forcément les poires. Aussi sûr que tous les Sébastiens ont un chien qui s’appelle Belle. Bref. J’aurais donné n’importe quoi pour m’appeler Marie, ou Jeanne, ou Pauline Dupont au collège et au lycée.

Un jour, out of the blue, dans un rendez-vous professionnel, un type que je connaissais depuis dix minutes s’autorise à me dire, en s’esclaffant : « Tes parents se sont rencontrés en 1976 au dancing du camping de Palavas, non ? ». J’aurais pu lui faire observer qu’en 1976, les capacités reproductives de mes géniteurs n’étaient pas encore matures, que j’ignorais où était Palavas, et que je ne savais pas qu’un camping pouvait contenir un dancing. Mais cela faisait beaucoup de mots pour pas grand chose. « Je vous demande pardon ? » suffit à semer le doute sur ces allégations.

Image par Myriams-Fotos de Pixabay

Spoiler alert

Alors, comme les années passent, et que j’éprouve finalement une certaine tristesse pour ces gens qui manquent tellement d’imagination et de curiosité, je vais révéler ici que le prénom Mélissa n’a pas été inventé par Julien Clerc.
Au passage, si quelqu’un sait ce que ce malheureux prénom a bien pu faire pour mériter ça…

Un jour, quand je travaillais en psychiatrie, un patient souffrant d’une grave dépression a soudain souri en voyant mon prénom sur mon badge, et m’a dit « Bonjour, Abeille ! ». Il avait été professeur de lettres classiques à l’Université. Je me suis sentie extrêmement reconnaissante envers ce monsieur, car pour une fois, j’étais « bien nommée ». Alors, pour remercier ce monsieur, voici un article tout à fait intéressant des Cahiers des Etudes Anciennes : Les Abeilles et Mélissa, du symbole universel à l’hapax mythologique, Alban Baudou.

J’ajoute au passage qu’en se penchant sur le prénom Déborah, on trouve le mot hébreu D’vorah, abeille. Épatant, non ?

Ensuite, on peut aussi se tourner vers le XVIe siècle et la région de Ferrare. Car dans Roland Furieux, de L’Arioste, on trouve la Maga Melissa, disciple de feu l’Enchanteur Merlin. Maga Melissa était une sorcière qui venait en aide à la guerrière Bradamante. Pour en savoir plus, voici un intéressant article (en anglais) du blog The Eclectic Light Compagny.

Enfin, pour finir en chanson, voici une femme puissante et talentueuse, à la voix incroyable : Melissa Laveaux. Une chanson de son magnifique album en haïtien, Radyo Siwel. J’aime un peu plus ce prénom depuis que je connais cette artiste.


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Auteur·e

melpwyckhuyse

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