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Nouvelle - Laurent

Le soufflet. C’est comme ça que ses amis l’appelaient. Parce que ses histoires d’amour
commençaient, mais ne faisaient guère plus. Combien de fois l’avaient-ils vu dans tous ses états
pour une fille, puis les années passant, pour une femme, sans que jamais une histoire ne commence
vraiment ? Il était l’éternel célibataire amoureux. Plutôt un beau mec, pourtant. Pas trop bête,
bosseur… Le plus doué d’entre eux. Mais il ne dépassait jamais l’histoire d’un soir, puis il avait fini
par ne même plus atteindre le fatidique premier rendez-vous.

La femme le regardait, il regardait la femme, ils échangeaient un sourire, ils avouaient qu’ils se plaisaient, ils parlaient de se revoir… Lui avait un cœur d’adolescent, il attendait, il espérait, il rêvait, il pensait à elle sans cesse. Un sourire, un regard le mettaient dans tous ses états… Puis elle annulait le rendez-vous. Une vieille tante à secourir, une amie qui débarquait à l’improviste. Trop de travail, une légère fatigue, ou une grosse
grippe… Le rendez-vous était reporté encore.

A vingt ans, il insistait, il suppliait, il espérait toujours, puis pleurait secrètement dans son lit des semaines après avoir vu la belle au bras d’un autre. A trente, il s’était fait, difficilement, une raison. Quand l’excuse qui repoussait le rendez-vous arrivait, il s’interdisait de rappeler, de se manifester. Il y arrivait en se disant que sinon, il passerait pour un gros lourdaud qui ne pensait qu’à garnir son lit. Il souffrait en silence. Il savourait, avant de dormir, le souvenir de cet élan amoureux qui, pendant une, voire deux semaines, avait tendu son cœur comme une voile se gonfle au vent, ces moments attendris, ces moments d’espoir… A quarante, il ne
notait même plus les numéros de téléphone, il n’espérait plus rien, mais il goûtait toujours ce
trouble qui le saisissait. Il n’en voulait pas aux femmes. Il se disait qu’il devait lui manquer quelque
chose, forcément. Mais quoi… Il avait été un bon amant. Il se montrait attentionné, généreux. Il
rêvait d’une femme brillante, dont il serait tellement fier. Mais rien n’y faisait.

Il était un choix parmi plusieurs possibilités pour une femme en quête amoureuse, mais il n’était jamais le candidat retenu pour le poste. On lui avait parfois proposé d’être amis, tellement il était un gars formidable. Il avait poliment décliné. Ses amis pensaient qu’il le faisait exprès, se moquaient de lui. Puis, tous pères de
famille, ils avaient arrêté. Ils étaient gênés devant son sourire triste quand ils le croisaient avec leurs
enfants. Alors, inconsciemment, ils avaient tous commencé à l’éviter. Ils se voyaient entre eux, et il
était devenu un sujet tabou. Il travaillait douze heures par jour.

Image par Dirk Wohlrabe de Pixabay

Le jour de ses cinquante ans, il mit son disque préféré, puis se mis à avaler méthodiquement les comprimés « pour la tension » qu’il avait volés à sa vieille maman avec une bouteille de vin rouge. Volupté. Il lui sembla s’endormir. Il se réveilla, dans son fauteuil, le verre à la main, parce qu’on sonnait à la porte. Il fut ennuyé, car,
tout de même, il était assez occupé, mais il alla ouvrir. Derrière la porte, une femme. Magnifique.
Brune. Une bouteille à la main. Il lui dit sèchement que Cartelin, c’était en face. Elle le remercia, et s’excusa de
l’avoir dérangé. Il ferma la porte sur elle. La musique semblait onduler dans l’air. Il retourna dans son
fauteuil, se versa un autre verre. Il le but, lentement. Il compta. Dix comprimés. Toujours rien.


On sonna. Il se leva en soupirant, pour ouvrir. C’était la femme. Il n’y avait personne en face, alors,
puisqu’elle avait fait tout ce chemin pour un rendez-vous manqué, elle se disait que, puisqu’il avait
l’air d’être seul, peut-être qu’ils pourraient boire cette bouteille ensemble. Il ne dit rien. Elle entra.
Elle se dirigea vers le salon. Elle s’assit dans le canapé, face à lui, et ouvrit la bouteille. Un excellent
cru. Elle le servit, puis se servit un verre également, et il se demanda d’où sortait ce verre qu’il… Elle
était magnifique. Magnifique. Il ne pouvait détacher ses yeux des siens. Il porta le verre à sa
bouche. L’arôme seul qu’il sentait dans son verre suffisait à l’enivrer. Comme elle était belle… Tout
était tellement parfait… Il ferma les yeux quelques instants pour savourer ce moment. Lorsqu’il les
rouvrit, il ne pu s’expliquer comment, mais elle était assise à côté de lui, ou plutôt c’est lui qui était
assis à côté d’elle. Il la prit dans ses bras.
– « Pourquoi arrives-tu seulement maintenant ?
– Je suis venue te chercher. »

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Auteur·e

melpwyckhuyse

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