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Anatomie d'une fake news #1

En buvant mon thé, ce matin, je m’interroge. C’est quoi, une fake news ? Et je m’interroge depuis la France. Par voie de conséquence, c’est de ce pays dont je parle.

Sûrement n’aurais-je pas réponse à toutes mes questions, et entre nous encore heureux : on n’est jamais trop modeste. Ainsi, toi, aimable lecteur qui aventurerait tes yeux ici, n’hésite pas à commenter et à partager ton savoir. Car on n’est jamais trop intelligent.

Depuis quand parle-t-on de « fake news »  ?

2016 : élections US et #pizzagate

L’élection présidentielle des Etats-Unis de 2016 donne Donald Trump vainqueur face à Hilary Clinton.
Un mois après sa défaite, le 8 décembre 2016, Hilary Clinton s’adresse au Congrès. Elle emploie le terme « fake news » pour parler des fausses informations qui inondent internet et les réseaux sociaux, et qui menaceraient la démocratie.

Si elle ne parle pas ici du rôle potentiel de ces « malicious fake news » dans le résultat de l’élection – et refuse de répondre aux questions des journalistes sur ce sujet – il faut tout de même rappeler que cette intervention a lieu 4 jours après l’arrestation d’Edgard Welch, 28 ans, qui avait déboulé avec un fusil d’assaut à la pizzeria Comet Ping Pong, à Washington. L’homme dit avoir agi ainsi pour libérer des enfants enfermés dans les sous-sols de la pizzeria, et qui seraient victimes d’un réseau pédophile organisé par des proches d’Hilary Clinton. Il a d’ailleurs admis n’avoir rien trouvé de tel sur place.

Mais d’où lui était venu cette croyance, et la conviction inébranlable qu’une telle horreur se tramait dans l’ombre des sous-sols et les effluves de pizza ? En fait, depuis octobre 2016, cette rumeur était répandue allègrement sur Reddit, divers réseaux sociaux et sites internet sous le hashtag « pizzagate ». Edgard Welch s’informant uniquement par ces sources, il était convaincu que c’était vrai.
Le « pizzagate » est l’une des nombreuses rumeurs infamantes qui ont circulées sur le camp démocrate et Hilary Clinton à l’approche des élections de novembre 2016. Or, en octobre 2016, Hilary Clinton était donnée largement gagnante des élections.


Article France 24 – Pizzagate : la rumeur qui a accouché d’une fusillade à Washington – Publié le 06 déc. 2016

Article Les Echos – Quand une fausse information de la campagne américaine provoque une fusillade – Publié le 6 déc. 2016 

Article France 24 – Hillary Clinton estime que « les fausses informations » menacent la démocratie – Publié le 09 déc. 2016


2017 : Trump vs les médias

Janvier 2017. A peine élu, le président Trump s’en prend directement aux médias, et il n’aura de cesse de les dénigrer et de les accuser de rependre des fake news, voire d’être des ennemis de la démocratie.
Ici, lors d’une conférence de presse, il refuse purement et simplement de répondre à la question d’un journaliste de CNN, Jim Acosta. La question lui déplait, alors il coupe la parole, et lance le resté fameux « you are fake news ! »

Article The Guardian – ‘You are fake news’ : Trump attacks Buzzfeed and CNN a a press conference – 11 janvier 2017

Article CNN Politics – Donald Trump just issued a direct threat to the free and independent media – 12 octobre 2017


La fake news en France

Evidemment, en France, certains ont senti le bon filon. La recette « fake news » s’est montrée efficace outre Atlantique, pour faire taire les gêneurs, voire pour gagner une élection ; ainsi le 25 janvier 2017, sur Europe 1, Marine Le Pen, alors présidente du parti d’extrême droite, reprend à son compte la formule. Rappelons qu’en 2017 (entre fin avril et début mai) se tenaient les élections présidentielles en France.
Ici, la fake news, c’est les emplois présumés fictifs du parti, ou certains points du programme de la candidate.


2018 : loi française contre la manipulation de l’information

Le président Emmanuel Macron souhaitait une loi contre la manipulation de l’information en contexte électoral, notamment pour prévenir la « trumpisation » de la vie politique en France. En effet, en 2017, il avait été la cible de médias pro-russes tels que RT News ou Sputnik.

Cependant, avant même que le projet de loi soi déposé le 16 mars 2018, le SNJ, Syndicat National des Journalistes, faisait part de ses inquiétudes :


« Réuni à Paris les 9 et 10 mars 2018, le Comité national du SNJ, première organisation syndicale représentative de la profession, a pris connaissance avec inquiétude de l’avant-projet de loi sur « la confiance dans l’information ». Sous couvert de lutter contre la propagation des « fake news », ce texte menace la liberté d’expression et la liberté d’informer.

Construit sur une confusion entretenue entre plateformes Internet et médias professionnels d’information, ce texte, qui dit vouloir protéger contre les risques de manipulation de l’information en période électorale, peut aussi devenir un moyen d’entraver le travail des journalistes professionnels.

(…)

Le SNJ considère que la lutte contre les fausses informations ne peut passer par un texte de circonstance dont il demande l’abandon. Elle doit reposer sur un dispositif combinant la garantie des moyens économiques et humains nécessaires à la production d’une information de qualité, sur une politique ambitieuse d’éducation au média et sur la création d’une instance d’autorégulation déontologique pouvant être saisie par le public.
 

Paris, le 10 Mars 2018

Communiqué de presse du SNJ – « Fake news » : un projet de loi liberticide – Motion votée à l’unanimité

La loi française définit ainsi une « fake news » comme « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin »


Le SNJ pointait le risque de voir utiliser cette loi contre les journalistes, notamment s’ils révélaient des scandales divers et autres affaires louches sur un élu ou un prétendant à un mandat. Donald Trump n’a-t-il pas justement accusé les journalistes de produire des « fakes news » ? D’où la nécessité de bien faire la distinction entre des médias professionnels ayant pour but d’informer, et l’utilisation des plateformes à fin de faire circuler de façon virale des rumeurs dans le but de discréditer le camp adverse.

Au sujet de cette loi, le site du gouvernement français précise que :

« Le texte vise les tentatives volontaires de manipulation de l’information et n’aura aucun impact sur le travail journalistique qui peut consister à révéler, à tout moment, des informations sur des questions d’intérêt public. »

Site du gouvernement français

Rassure-toi, SNJ. La loi précise bien qu’une fake news a un caractère délibéré, que c’est un contenu qui est diffusé massivement, volontairement et artificiellement par le biais des plateformes (Facebook, Twitter, etc.), pour nuire à une partie adverse notamment lors d’une échéance électorale.

« En dehors des périodes électorales, le texte crée un devoir de coopération des plateformes, pour les obliger à mettre en place des mesures contre les fausses nouvelles, et à rendre publiques ces mesures. Le contrôle de ce devoir a été confié au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui pourra aussi empêcher, suspendre ou interrompre la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger ou sous l’influence de cet État, et portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.« 

Site du gouvernement français

Voilà : on ne relâche pas ses efforts en fin d’année, comme à l’école. La loi prévoit donc pour les plateformes une obligation de transparence lorsqu’elles diffusent des contenus politiques sponsorisés. Il est bon de rappeler qu’en France, avant l’ère Trump, existait déjà une loi contre les fausses informations, datant de 1881 : la loi sur la liberté de la presse. Il serait interessant de convoquer de beaux esprits pour savoir pourquoi le terme de « propagande » n’a pas été employé dans le cadre des « fake news ».


Site du Conseil Constitutionnel – LOI DU 29 JUILLET 1881 SUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE –

Article France 24 – Ce que contient la loi française contre les « fake news » – Publié le 21 nov. 2018

#humour Chronique de Guillaume Erner – Docteur en sociologie et producteur des Matins de France Culture – « J’ai un argument de plus contre la loi relative aux fake news : ce n’est pas une loi laïque. La loi sur les fake news est directement inspirée par la Bible, et ça, ce n’est pas très républicain. «  – 5 fev. 2018


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Auteur·e

melpwyckhuyse

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