Le nanar est, selon la définition proposée sur le site Nanarland.com, le site des mauvais films sympathiques, un film « drôle car mauvais », avec décors en carton-pâte, monstres en mousse, plans nombreux sur des poitrines opulentes, dialogues et intrigue indigents. Il y a du nanar gnangnan, du nanar martiaux, nanar fantastique ou à mains armées, et il faut dire que la valeur d’archive de ces œuvres est souvent assez méprisée.
(ceci est un vrai faux article universitaire)
Le cinéma dit « des années 70 », période délimitée par mai 68 et le film « Vivement dimanche » de Truffaut sortit en 1983, est un cinéma militant, engagé, qui témoigne des luttes sociales d‘alors, et du combat des femmes pour la liberté de disposer de leur propre corps.
Parallèlement à ce cinéma de combat : le nanar. Les « nanars » des années 70 ne nous montrent pas l‘Histoire mais une représentation mâle et outrancière de la société d‘alors. Même, les situations sont parfois à peine vraisemblables, et l‘humour particulier dont ils sont teintés les tire parfois vers le surréalisme.
On pense le monde en fonction de son sexe, de l‘époque et du milieu socio–culturel où l‘on naît. Ainsi, l’objet culturel est contextuel, répondant à un horizon d’attente (au goût du jour) ou s’ingéniant au contraire à le décevoir (révolutionnaire). Le film, en tant qu’objet culturel, n’échappe pas à cette règle. Le « nanar » est un sous-genre, il appartient à la culture populaire, et n’est donc pas considéré comme faisant partie des chefs d’œuvres représentatifs de l’époque. Il n’en n’est pas moins un objet culturel ; et contiendrait donc un reflet – fût-il déformé et déformant – de la société dans laquelle ces films furent produits. A l‘instar du cinéma de Jean Benoît Levy, il est aussi une source pour l‘historien.
Calmos, Bertrand Blier, 1975
Comme la lune, Joel Seria, 1975
Les Galettes de Pont–Aven, Joel Seria, 1976
Et la tendresse, bordel ! Schulmann 1978
Nanana, nanana, nanar!
Relèvent de la catégorie des « nanars » certains films français à l‘humour grivois et outrancier, volontiers misogynes, produits dans les années 70 par des réalisateurs masculins, alors que les mouvements féministes étaient en plein essor. Le « nanar » se situe du coté de la provocation. Les personnages des « nanars » relèvent du cliché : la femme adultère, le patron paternaliste et vicieux, le vieux beau, la vamp, ou encore la jeune femme naïve. L‘action a pour cadre la France moyenne des voisins biens–pensants, où l‘on va boire un perroquet au bistrot, et s‘aérer à la campagne ou en bord de mer. L‘argot et le dimanche en famille sont de rigueur, le road movie fréquent (Les Valseuses, Calmos…). L’intrigue reste souvent assez faible, et c’est le charisme d’acteurs comme Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort ou Jean-Luc Bideau, Pieplu, qui donne tout leur relief aux dialogues très crus et très imagés. Pas de bon nanar sans bons acteurs, donc.
La magie du « nanar » réside dans la sympathie que suscite ses personnages ; qui, en dépit de tous leurs travers, arrivent à capter la bienveillance du spectateur. Trop excessifs pour que le spectateur ait envie de s’identifier à eux – même si, dans le fond, il leur ressemble un peu quand même – les personnages de ces « nanars » sont touchants par leur quête du bonheur.
Contexte
1960 Cavanna, Choron : création du magazine Hara–Kiri
Mai 1968
1970 Hara–Kiri : « Bal tragique à Colombey : un mort » ; interdiction du magazine ; naissance de Charlie Hebdo
1972 Bukowski Les Contes de la Folie ordinaire
1973 Carole Roussopoulos, Y a qu‘a pas baiser
Truffaut, La Nuit américaine
1974 Blier, Les Valseuses
1975 L‘ONU décrète « L‘année de la femme »
Promulgation de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse
Goetlieb, Alexi, Diament : Fluide Glacial
Carole Roussopoulos, Maso et Miso vont en bateau
Truffaut, L‘Histoire d‘Adèle H.
Sortie officielle en France de L‘enfer pour Miss Jones
Le Parlement légifère sur le film X.
Joel Seria, Les Galettes de Pont–Aven
Bertrand Blier, Calmos
1976 Réunification du Viet–Nam et début des boat people
Carole Roussopoulos, LIP
Joel Seria, Comme la lune
1977 Les Nations Unies reconnaissent la Journée internationale de la femme, à la date du 8 mars (adopté en France en 1982)
Yannick Bellon, L‘Amour violé
Agnès Varda, L‘Une chante, l‘autre pas
François Truffaut, L‘Homme qui aimait les femmes
1978 François Truffaut, La Chambre verte
Blier, Préparez vos mouchoirs
Schulmann, Et la tendresse ? Bordel !
1983 Truffaut, « Vivement dimanche ! »
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Fictions appartenant à un sous–genre, comment les « nanars » des années 70 donnent–ils, en filigrane, une photographie de la société dans laquelle ils ont été produits ?
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Sans regard documentaire, et sans volonté de montrer l‘Histoire, pourquoi sont–ils aussi à considérer comme une archive ?
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Comment quatre films de fiction, appartenant à un sous–genre, rendent–ils témoignage d‘une époque ? Que nous en disent-ils ?
Les rapports entre les deux sexes : société patriarcale et féminisme, le malaise masculin
Dans Calmos, on voit Jean–Pierre Marielle et Jean Rochefort quitter le domicile conjugal et la « tyrannie féminine » pour le calme de la campagne et les plaisirs de la bonne chère. Bientôt rattrapés par leurs épouses auxquelles ils échappent, ils seront rattrapés par un bataillon de femmes–soldats aux propos grivois, avant d‘être transformés en objets sexuels – car seuls survivants encore viables de leur espèce. Dans Et la tendresse ? Bordel ! , l‘homme du couple tendre est au chômage, et c‘est madame qui travaille et ramène de l‘argent à son homme au foyer. Alors, dans ces films aussi misogynes que pouvait être extrême le féminisme de l‘année 1975 – « année de la femme », rappelons–le – s‘opère une inversion des rôles sociaux. Les femmes ne tiennent plus seulement les rôles de victimes ou de garces. De plus, dans Calmos, les hommes souffrent de l‘expression du désir féminin, qui les chosifie. Traduction des angoisses d‘une génération d‘hommes en perte de l‘évidence de leur pouvoir sur l‘autre sexe ? Et si les femmes prenaient vraiment le pouvoir ? Jean Rochefort (Calmos) serait terrorisé dans le métro par Sylvie Meyer, nue sous son imperméable. Si les femmes prenaient le pouvoir ? Elles feraient subir aux hommes ce qu’ils leur font subir.
On note par ailleurs que, si les premiers rôles reviennent aux hommes dans les films de Seria, ils mettent en scène des hommes gouvernés par leur bas–ventre et bernés par les femmes. Dans Calmos, les hommes ne sont plus maîtres chez eux, et gagnent le maquis. Dans Et la tendresse ? bordel !, le super macho finit émasculé par une patiente de psychiatrie au bord d‘une piscine. Ils sont au premier plan, mais ce ne sont pas des super héros. Qu‘ils soient gynécologue, réparateur de frigos ou vendeur de parapluies, dans le fond, ils aspirent à la même chose : une petite vie tranquille, avec une gentille femme qui prend soin d‘eux, et qui ne vient pas les embêter avec toutes sortes de revendications. Dégoulinant de mépris pour la gente féminine et incapable d‘autre chose que de réflexions salaces, incapables de s‘adapter à un nouveau rapport des sexes et cherchant à fuir, les hommes des « nanars » ne valent finalement guère mieux que les femelles enragées ou les idiotes qui leur font face. Le « nanar » ne serait-il pas plus misanthrope que misogyne ?
Il ne s’agit pas seulement de clichés sur les femmes, trahissant une subjectivité machiste. Les personnages masculins sont aussi des clichés. Donc il est fait appel à un savoir populaire commun, qui permet d’identifier facilement les acteurs d’intrigues peu touffues. Le « nanar » est un divertissement populaire. La situation du vieux beau cédant aux charmes d’une jeune femme aguicheuse alors que sa femme est laide et détestable faisait déjà rire en 1901 dans Rêve et réalité de Zecca, ou dans Pay day.
Le rire provoqué par toute cette mascarade prend un goût légèrement amer, lorsqu‘il montre une société qui réclame une liberté dont elle ne sait finalement que faire.
La pornographie : boom du film porno, libération des mœurs.
Alors qu‘il voit des femmes nues à tous les arrêts de bus pour vendre des yaourts, le spectateur d‘aujourd‘hui trouve osé tous ces corps nus qui se trémoussent dans les « nanars », notamment la clinique vouée à la procréation où défilent les femmes dans Calmos, le dancing–piscine nudiste de Et la tendresse ? Bordel !, ou l‘éloge que fait Marielle des fesses nues de sa compagne. Pas sur d‘ailleurs que Dominique Lavanant, Brigitte Fossey et d‘autres se vantent aujourd‘hui d‘avoir joué en tenue d‘Eve dans un « nanar ». La nudité y est montrée sans fard, de manière frontale, en plan fixe, sans effet d‘atténuation par un effet d‘éclairage. Pourtant, il y a fort à parier que ce n‘est pas vraiment les corps nus qui outraient les spectateurs des années 70.
En effet, la libération des mœurs revendiquée par mai 68 rendit possible la promulgation de la loi Veil en 1975 ; mais aussi les confessions radiophoniques de Ménie Grégoire et le développement du film X. Le phénomène du film X dure 12 ans, de 1973 à 1984. En 1973, sur 200 films produits en France, 19 sont des films X, 58 sur 214 en 1977, 142 sur 302 en 1978 – presque la moitié! – puis 66 sur 240 en 1979. Le porno soft se trouve aussi dans les films publicitaires. Le déclin de ce cinéma est dû à une loi adoptée en décembre 1975 par le Parlement qui permet à la commission de censure de classer les films dans la catégorie X. Les films sont montrés dans des salles spécialisées, les producteurs se voient pénalisés par une augmentation de la TVA. L‘importation est surtaxée, ce qui incite à une surproduction nationale (c‘est donc bien qu‘il y avait une réelle demande pour ce genre de cinéma). La loi avait pour objet de juguler l‘engouement populaire pour le cinéma X, qui venait à faire de l‘ombre au cinéma « normal ».
Donc, sans y être habitué ou indifférent, le spectateur de l‘époque voyait souvent passer des corps nus ou des situations érotiques dans son champ visuel. La nudité faisait même partie de l‘horizon d‘attente du public des films X, sensible peut–être à l’esthétique du « nanar ». On voit d‘ailleurs apparaître dans Calmos la porno star Claudine Beccarie, face au gynécologue campé par Jean–Pierre Marielle. En employant des acteurs de films X, le « nanar » s‘inscrit définitivement du coté de la provocation. Mais, dans Calmos, l’étalage de chair mène au dégoût, à l’écœurement, on ne peut plus regarder ni désirer d’avoir trop vu, et l’on s’en va trouver refuge chez le curé de campagne. Plus qu’un éloge du porno, le nanar semble un pamphlet contre le porno. La libération de la femme est telle qu’elle aboutit à une clinique de la procréation. L’acte sexuel, cette fois décidé et voulu part les femmes, sert donc uniquement à procréer. N’est-ce pas un retour aux préceptes de l’Église catholique, desquels la société voulait se libérer en mai 68 ? Le nanar serait-il pessimiste, et ne croirait-il qu’en l’Éternel Retour ?
Ajoutons aussi que les femmes au physique ingrat – ou moins conforme aux canons de la beauté occidentale : minceur, jeunesse – ne sont pas, ou peu montrées nues : ce sont les épouses légitimes, les femmes-soldats et les matonnes de Calmos. Et celles qui ne sont pas objet de désir masculin osent exprimer leur désir de femmes : c’est à cet endroit que la libération des mœurs à l’écran se fait plus obscène. Une femme qui exprime son désir devient « indésirable » ou masculine.
La satire sociale : le beauf, le patron et monsieur Tout–le–monde
Peut–être le « nanar » s‘en prend–t–il plus sauvagement aux bonnes mœurs et à la morale, lorsqu‘il fait ses héros des femmes et maris infidèles, des cocus – on les retrouve dans les quatre films du corpus – et dénonce l‘hypocrisie du couple légitime ? L’ennui et le désamour caractérisent les couples nanaresques ; et « les chaînes du mariage sont si lourdes, qu’il faut être deux pour les porter. Parfois trois. », Alexandre Dumas.
Dans Et la tendresse ? Bordel !, qui du patron consommateur de femmes ou de l’homme du couple de biens-pensants est le plus odieux ? Celui qui ne cache pas ses pulsions, et les dit très crûment, ou celui qui, tiré à quatre épingles, quitte sa femme prétendant aller travailler pour rendre visite à sa maîtresse ? Celui qui n’a aucune honte, ou celui qui feint ? Le réalisateur invite le spectateur à cette interrogation, lorsqu’il fait dire les mêmes mots aux deux couples illégitimes :
La femme : « J’ai l’impression que tu ne viens que pour « ça » »
L’homme : « Allons, tu sais bien que non ! »
Les femmes d‘ailleurs, ne sont pas en reste. Lorsque le vendeur de parapluies des Galettes de Pont–Aven revient en mari prodigue au domicile conjugal, il surprend sa femme, qui se refusait à lui, qu‘il croyait « bigote », en posture et compagnie des plus inattendues. Quant à la mère de la jeune femme romantique de Et la tendresse ? Bordel !, après avoir élevé sa fille dans la méfiance des hommes qui ne « pensent qu‘à ça », ne lui dit–elle pas que si l‘histoire devient sérieuse, il faudra « y » penser ? La jeune femme, d‘ailleurs, s‘émeut de ce revirement.
Avançant avec le masque de la fiction bouffonne, et puisqu‘il s‘en prend aussi bien aux féministes qu‘aux machos et aux bourgeois, le nanar n‘est–il pas plus subversif que le film militant ?
Élan de liberté : autour de mai 68, des journaux tels que Hara–Kiri ou Charlie Hebdo allaient très loin dans le politiquement incorrect et dans la provocation, dans le « mauvais goût ». On retrouve ce ton dans le « nanar ».
Pour en finir avec le nanar
Les « nanars » donnent à voir une société en pleine mutation, qui cherche quelle place faire aux femmes, comment construire un nouveau rapport entre les sexes, et quel sens donner à la liberté sexuelle. L‘amour libéré bouscule les institutions que sont le mariage et la famille ; la notion de « couple légitime » perd son sens puisqu‘elle ne garantit pas le bonheur. Le « masculin » et le « féminin » aussi sont à redéfinir.
Ces questionnements, on les retrouve aussi dans les films militants. Mais les « nanars », en dépit de leur voix criarde, leur donnent une teinte sombre, mélancolique.
Quarante ans plus tard, on légifère sur la parité homme–femme, sur le mariage entre personnes du même sexe. A diplôme équivalent, les femmes sont toujours moins payées que les hommes. Le nombre de familles recomposées a explosé. Les chantiers de réflexion révélés par les « nanars » sont toujours ouverts, mais notre société en crise manque peut–être un peu d‘humour…
Bibliographie
Ciné-ressources : catalogue collectif des bibliothèques et archives de cinéma.
Erotisme et cinéma, Gerard Lenne, La Musardine, Paris, 2009
Caméra militante, Carole Roussopoulos, Metispresse, coll. Plan Sécant, Genève, 2010
« Le spectacle du « manque féminin » au cinéma : un leurre qui en cache un autre », Denise Pérusse, Cinémas : revue d’études cinématographiques / Cinémas: Journal of Film Studies, vol. 8, n° 1-2, 1997, p. 67-91.
« La femme et le type : le stéréotype comme vecteur narratif dans le cinéma des attractions »
Pierre Chemartin et Nicolas Dulac
Cinémas : revue d’études cinématographiques / Cinémas: Journal of Film Studies, vol. 16, n° 1, 2005, p. 139
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