Crédit:

Cinéma : deux semi-nanards parisiano-glaciaires

N’est pas un nanard qui veut. Eh oui, cela demande des efforts, de cumuler la pauvreté du scénario, la laideur des images, le jeu indigent des acteurs, le kitsch des costumes, et de faire maigre en termes de dialogues. Tout en ayant un message profond, irrévérencieux et subversif. Donc pour qu’on ne me reproche pas de faire preuve de trop d’exigence, voire – horreur – d’élitisme, je parlerai ici de presque-nanards, pour donner un message encourageant aux réalisateurs qui voudraient se lancer dans ce genre difficile, mais n’oseraient pas. Vous voyez, courage, vous pouvez largement faire pire.

Deux semi-nanards parisiano-glaciaires

Les deux films dont je parlerai, – des semi-nanards, donc, pour ceux qui auraient raté le début de ce billet en allant se chercher une bière bio locale et sans alcool – présentent plusieurs traits communs. Ce qui confirme en partie l’hypothèse de départ : il existe des sous-espèces du nanard. Nous sommes ici sur deux semi-nanards parisiano-glaciaires proposant une entrée tardive du personnage masculin dans l’âge adulte.

Il s’agit de deux films à retrouver sur la plateforme MUBI.

Le Voyage au Groenland, de Sébastien Betbeder, et The Sea de Baltazar Korrnakur

Le Voyage au Groenland est le troisième et dernier épisode d’une série de films autour du Groenland de Sébastien Betbeder, mêlant documentaire et fiction. La série débute en 2014, avec un court-métrage, Inupiluk où deux inuits viennent découvrir Paris. Ils sont accueillis par deux grands dadais, Thomas et Thomas, incarnés par Thomas Blanchard et Thomas Scimeca. Les deux acteurs apparaissent ensuite dans un second court-métrage Le Film que nous tournerons au Groenland, où ils ambitionnent d’aller dans le village des deux inuits. Et en 2016, sort enfin le long-métrage Le Voyage au Groenland où les deux amis se retrouvent dans le très lointain village de Kullorsuaq, où vit depuis 20 ans le père de l’un des deux Thomas.




The Sea est un long métrage de 2002 réalisé et scénarisé par Baltazard Kormakur, d’après une pièce de théâtre. L’intrigue se passe en grande partie en Islande, dans un petit village de pêcheurs. Ici, une famille éclatée se regroupe car le patriarche a décidé de publier ses mémoires. Chacun risque d’y être égratigné, mais chacun espère aussi sa part d’héritage. Evidemment, tout le monde vient et ment, cache des choses, a des vices inavouables mais que tout le monde connaissait déjà.

The Sea – Baltasar Kormákur from Jean-Louis Vialard on Vimeo.

Nature & voyage initiatique

Les deux long métrages nous font voyager de Paris à une île gelée, pour revenir ensuite à Paris, suivant le cliché du voyage initiatique. Si Paris est évoqué en début et fin des films, c’est clairement les paysages d’Islande et du Groenland qui sont à l’honneur, et dans une approche presque documentaire. Si l’on voulait faire preuve d’un peu de poésie, on pourrait dire que le paysage joue un rôle en lui-même, personnage muet et omniprésent, avec lequel les plus jeunes générations arrivent de moins en moins à communiquer, quand ils n’oublient pas totalement de le regarder.

Dans le Voyage au Groenland, un adolescent inuit s’est suicidé car il refusait de poursuivre sa vie dans sa communauté. Dans The Sea, le plus jeune personnage, un adolescent, est addict aux jeux vidéos (encore un cliché), ne voit rien d’intéressant dans les paysages alentours et fait une fugue en pleine nuit pour s’introduire dans le bar du village, où il y a des jeux vidéos. Les deux films montrent un rapport générationnel à la nature et à l’environnement dans les années 2000-2010, il serait intéressant d’interroger des adolescents d’aujourd’hui, sur leur rapport à la nature, notamment à la génération Youth for Climate.

Le Candide

Dans The Sea, Agust musicien compositeur islandais dont la carrière peine à décoller, et Françoise, jouée par Helène de Fougerolle, nana chiante et sophistiquée, plaintive, qui a décidé après une énième rupture qu’elle s’imposerait dans un voyage en Islande dans la famille d’Agust, sont les personnages principaux. Belle mise en scène de personnages caricaturaux, obéissant à des clichés genrés, que l’on retrouvera chez tous les personnages du film. Le mari mou marié à une alcoolique agressive, le pédophile du village crasseux, la vieille sourde et agressive façon tatie Danielle, et quelques autres, mais je m’en voudrais de tout divulgacher.

Les deux Thomas du Voyage au Groenland ne sont pas en reste. Ils ont passé la barre des trente ans, essaient toujours d’être comédiens, et se désespèrent sous leurs cheveux mi-longs et gras de trouver un jour une compagne. Deux magnifiques losers, donc, mais la dimension comique ou malicieuse dans la construction des personnages est plus évidente, ici.

On a également deux binômes avec la même composition : l’un est « fils de », et se rend dans le pays où vit son père, et l’autre accompagne, et ne parle pas la langue du pays. L’accompagnateur a ici le rôle du Candide, il ne saisit pas toutes les subtilités des rapports familiaux, interprète mal les conversations et attitudes de ses hôtes. Il est aussi celui auquel on veut faire goûter toutes sortes de bizarreries culinaires peu ragoutantes, pour s’amuser de sa réaction. Dans Le Voyage au Groenland, Thomas, épris d’une jeune femme inuite pense avoir une ouverture, alors qu’elle lui dit qu’elle n’est pas intéressée. Dans The Sea, Françoise ne se rend pas compte qu’Agust a des rapports pour le moins ambigus avec sa cousine.

Entrée dans l’âge adulte

Dans les deux films, le patriarche est sur le déclin. Sa mort est proche, et le fils qui rentre à Paris sait qu’il ne le reverra pas vivant. Le fils vient aussi pour avoir des réponses à ses questions, exprimer ses rancœurs, ses colères, et repartir en homme adulte, plus seulement en « fils de »

C’est une fin assez convenue, mais il ne faut pas oublier que nous sommes ici dans un billet chantant les louages des nanards

L’intrigue et les personnages sont convenus, et c’est volontaire de la part des réalisateurs, qui jouent avec les codes du drame familial et du décalage culturel. Ces films restent divertissants, et pour profiter vraiment des paysages, on peut s’autoriser un visionnage en coupant le son. Gageons que vous parviendrez sans trop d’effort à restituer les grandes lignes des intrigues.

Partagez

Auteur·e

melpwyckhuyse

Commentaires

marina tem
Répondre

j'adore vous lire :)

Warda
Répondre

Merci beaucoup pour vos encouragements Marina :) Et vous alors, où peut-on vous lire ?