Warda

Démocratie&vieilles dentelles

Fiction d’entre-deux tours


épisode 201947


Marianne découvre par les prophéties de Cassandre, sa meilleure amie, que le peuple ne l’aime plus. Il a renié sa foi républicaine pour le culte du Vodor et de Lotokar, et il fricote avec une blonde. Il parle de divorce. Elle est au bord du suicide, quand soudain, le téléphone retentit. C’est Cassandre.


CASSANDRE – « Allô ? Je te dérange pas ?
MARIANNE – Non, non…
CASSANDRE – Tu es chez toi, là ?
MARIANNE – …Il y a des chances. Enfin, pour le moment…
CASSANDRE – …Un café ? J’apporte des macarons ! – tuuu tuuuut tuuuu – Allô ? Allô !!!! »
Inquiète, Cassandre saute sur son scooter et va rejoindre Marianne.


Episode 201948



MARIANNE – Ahahah !!! 😂😂😂
CASSANDRE – …Mais… ça te fait rire ? Ton Peuple risque de te plaquer pour une blonde, et tu ris ?
MARIANNE – Mais que veux-tu que je fasse d’autre, ma chère ? Il paraît que je suis trop intello pour lui, avec mon école laïque et mon « liberté-égalité-fraternité ». Pas assez « tarte aux pommes au foyer ». Il flippe.
CASSANDRE – …Ben, c’est pas drôle. Le salaud… Que vas-tu faire ?
MARIANNE – Mais rien. Je ne peux rien faire, à part mes valises.
CASSANDRE – …Ah…
MARIANNE – La dernière fois, il m’a quittée pour un vieux maréchal. Tu vois, moi non plus, plus rien ne me surprend… Et t’as mal regardé, dedans, elle est brune.
CASSANDRE – …Quelle idée, aussi, de te balader les einsss’ à l’air sur une barricade… Même avec un pseudo… Je t’avais bien dit que ça finirait mal !
MARIANNE – Il m’a déjà dit qu’il voulait pas la garde des gosses qui ne sont pas blonds aux yeux bleus. Tous les mêmes, hein… Dès qu’il s’agit de s’occuper de ses gamins, toujours prêts à tout et à trouver n’importe quelle excuse pour ne pas le faire !
CASSANDRE – Ma pauvre chérie ! Où allez-vous aller ?
MARIANNE – Alors là… J’avais pensé rendre visite à Liberty, ma cousine aux Amériques, qui m’invite depuis des lustres, mais je crois que ce n’est pas le moment…


Episode 201949


Marianne et Cassandre abusent du Chasse-Spleen pour se consoler de leurs déboires, et se mettent à déblatérer sur les blondes.


CASSANDRE – Naaan mais doutes fazons, les blondes, zé rien gue des zaletés !
MARIANNE – Sûr ! Toi, hein, toi aussi, t’as eu ta dose de blonde, avec la Hélène, hein !
CASSANDRE – Haaaan, naaan mais ma jérie zi du veux ba gons svache, arrêt-là de suite ! Haaaan *cri d’orfraie* Ah, nan mais me barle ba d’elle ! Encore rune qu’a réussi et mis le dawa rien gu’avec zon hein… Avec, hein… Avec zon GUD !!
MARIANNE – Pour sûr ! D’t’façon, hein, les blondes, hein, c’est toujours comme ça ! Tou-jours !


Episode 201950


FLASH-BACK : les histoires de famille de Cassandre
« Quel est donc ce quidam ? Je suis Pâris, le fils du roi Priam ! »


Episode 201951


Cassandre a une nouvelle vision.
CASSANDRE – Han ! Ohlala ! Ohlala !
MARIANNE – Tu vois quelque chose ??
CASSANDRE – Voui, voui… Attends… L’argent public qui flamboie… Les dividendes qui verdoient… Il… Il hésite…
MARIANNE – Aaah bon ??
CASSANDRE – Le Peuple hésite. Entre la blonde et Dark Vodor.
MARIANNE – …Fantastique. Dans tous les cas, je me fais enfler. Adieu la baraque avec piscine ! Et puis à mon âge, amuse-toi à trouver du travail !
CASSANDRE – …Voui, mais… Mais c’est moins pire de se faire plaquer pour un mec que pour une blonde, non ?
MARIANNE – Tsssssst !
CASSANDRE – Non ?
MARIANNE – Non !


Episode 201952


Marianne et Hélène se réveillent avec une bonne gueule de bois. Elles ont fait un rêve étrange, avec une grande duchesse et un jeune premier…


Episode 201953


Prise d’un accès de jalousie, Marianne se déguise en mendiante, et va par les rues pour chercher le Peuple, et éventuellement lui faire une scène. Ce qu’elle découvre la consterne. Elle le savait. Avec la blonde, ça fait un moment que ça dure! Tous ces migrants expulsés, toutes ces lois anti-migratoires, ces gens condamnés pour avoir aidé des humains crevant dans la rue… Le salaud! Il l’a bien eue! Le lâche! Il n’a pas même eu le courage de lui dire! Toutes ces années de vie commune, et il n’a même pas le courage, non, même pas le courage de lui dire en face! Ah, le fourbe! Le veule, le pleutre! Le dégonflé! Non, elle n’attendra pas qu’il ait « réfléchi », comme il prétendait le faire. C’est tout réfléchi. C’est elle qui le quitte. Il lui fait horreur. Et en plus, elle s’est fait traiter de bougnoul.


Les Chinois à Paris – Jean Yanne – 1974

Fera-t-on jamais assez l’éloge du nanard? Je m’étais déjà penchée sur sa valeur d’archive. Et puis, à la faveur d’une connexion haut-débit, voilà que j’ai regardé Les Chinois à Paris, et, j’ai trouvé sa succulente nanardise d’une furieuse actualité.


No nanard ex nihilo!


1974, une bien belle année pour une histoire de Chinois envahisseurs.
Avril : Révolution des Oeillets  au Portugal.  Chute de la dictature salazariste qui écrasait le pays depuis 1933.  Rébellion de l’armée, conduite par sept jeunes officiers. La foule envahit les rues de Lisbonne, fraternise avec les militaires, leur offre des œillets dont ils ornent leurs fusils. Instauration de la démocratie.
Juillet : fin de la Dictature des Colonels en Grèce. Sept années de dictature, après le coup d’état du 21avril 1967 qui porte au pouvoir une junte militaire, qui disait vouloir lutter contre la menace communiste imminente.
Et puis, 1974, était aussi une année d’élection présidentielle dans notre cher pays. Qui fut élu? Monsieur Giscard d’Estaing.

Le mythique « Au revoir »

Littérature
Les Chinois à Paris
est réalisé par Jean Yanne, d’après le roman de Robert Beauvais; scénario de Jean Yanne et Gérard Sire. Et, en matière de référence littéraire, comment ne pas citer l’essai d’Alain Peyrefitte, best seller de l’année 1973 : Quand la Chine s’éveillera… Le monde tremblera.

Filmographie
Il s’agit d’une comédie dans la veine salace et gros-sel-sur-plaies-mal-refermées, genre cher à Jean Yanne. « Comédie satirique », on dit.

1972 : Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Jean Yanne s’en prend au monde de la radio
1973 : Moi yen a vouloir des sous. Cette fois-ci, ce sont les syndicalistes et les capitalistes qui dégustent.
Dans ce troisième film, il met en scène une invasion pacifique de la France par les Chinois. A l’époque, cela avait grandement déplu aux maoïstes, variété politique n’ayant plus cours aujourd’hui sous nos latitudes. Il faut dire qu’il y va fort, le Jean Yanne. Dans ce film, une adaptation de Carmen, de Bizet, sauce coco, avec tigres de papier, chiens capitalistes et drapeaux rouges  : Carmeng. A chacun d’apprécier s’il y a ici quelque chose approchant la notion de « révolution culturelle »…

A titre indicatif, voici un article de 2013, publié sur le site de Le Monde, proposant des extraits d’un grand spectacle organisé par la Corée du Nord à l’occasion de l’ouverture des Jeux Olympique; spectacle mêlant danse, théâtre, gymnastique.


J’avance masqué


Mais ce « monument de vulgarité », comme le décrit alors le journal Le Monde, s’en prend davantage aux compatriotes de Jean Yanne qu’au noble peuple chinois.
En 1974, les souvenirs de la Seconde Guerre Mondiale sont vifs encore. Mettre en scène un pays occupé – par la Chine – est l’occasion de montrer à l’écran ce que certains faisaient mine d’avoir oublié; à savoir que, pour qu’un pays soit occupé, cela nécessite l’assentiment et la pleine collaboration d’une partie de la population. Le « péril jaune » – terme de l’époque – est un prétexte rêvé.
On voit ainsi des journalistes, ecclésiastiques et autres membres du gouvernement faire une cour assidue au général Pou Yen, tandis que le Président de la République Française (Bernard Blier) a courageusement plié bagage, et s’est envolé aux Etats-Unis, pour revenir triomphalement à la fin de l’Occupation.
On voit aussi ceux qui, faisant fi de toute conscience politique, se situant du coté du profit, trouvent comment tirer parti de la situation. Jean Yanne se donne donc le rôle de Régis Forneret, propriétaire d’un sex shop, et qui à la faveur de l’occupation (chinoise) devient un vrai roi du marché noir. A la fin de l’Occupation, il disparaît, les poches pleines, et va continuer tranquillement ses petites affaires un peu plus loin.
On voit aussi une bande de lâches et de dégonflés, les fameux « résistants de la 25ème heure », qui prennent les armes lorsque le danger est assez loin, et tondent quelques femmes au passage.

Dans la France de 1974, où l’on voulait croire – ou se convaincre – que la France était un pays de résistants, où certains, pour des raisons évidentes, tentaient de détourner l’attention de leur enrichissement soudain au cours des dernières décennies, ce film a évidemment été très mal perçu.
Les attaques portèrent tout naturellement sur la vulgarité du propos. Rappelons qu’entre 1973 et 1984, le cinéma X est en plein boom en France. En 1973, sur 200 films produits en France, 19 sont des films X. 58 sur 214 en 1977. 142 sur 302 en 1978. On a alors du mal à imaginer que la nudité et l’humour salace outraient la France des années 70. D’ailleurs, en 1974 sortait aussi Les Valseuses de Blier. En 1975, Les Galettes de Pont-Aven, et Comme la lune de Seria, et Calmos de Blier. Alors ce n’est surement pas une paire de fesses qui faisait se frotter les yeux. Pour que les choses soient claires, loin de moi l’idée de faire l’apologie du film X, qui véhicule très souvent une image dégradée de la femme. Cependant, ce film rappelle bien que la « moralité » est une excuse bien commode pour détourner le regard de ce qu’on veut surtout laisser dans l’ombre.

A la veille de l’élection présidentielle et avec tout le devoir de réserve qui s’impose à moi, je voudrais inviter mes lecteurs potentiels à voir combien un film de seconde, voire de 44e zone, peut éclairer notre situation actuelle. N’a-t-on pas vu récemment certains s’acharner, dénoncer, exposer sur la voie publique la vie privée de certains autres, au nom de la « moralité »? Voici que l’on nous signale des « fesses impies ». Où est donc le « marché noir », dont on veut détourner notre regard? Quel parallèle faire – ou ne pas faire- entre l’élite ou démissionnaire ou collaborationniste du film? Tiens, et si la « peur de l’invasion », la menace culturelle, le « remplacement » avaient une saveur bien sinistre, et un écho dans certains discours actuels? A quels marchands de pousse-pousse profitent nos peurs?


Transgressif? Non, subversif!


Ainsi, comme dans de nombreux nanards des années 70, l’humour est grivois, bête et méchant, et ne se contente pas simplement d’être transgressif, comme peut l’être un enfant qui fait pipi par terre, ou un adolescent qui fume du shit, pour le plaisir de ne pas respecter les règles , pour sortir du cadre imposé par papa et maman et par « la société ».
Le nanard est subversif, c’est à dire que, par la critique de la société qu’il porte, il est susceptible de bouleverser l’ordre établi, de détruire les principes sur lesquels reposent notre société. Et pour qu’une démocratie vive, il est à souhaiter que se révèlent bien vite des artistes au talent subversif, plus que gentiment transgressif.


[Photo] – Les « minorités visibles et le travail en France »

Humour bête et méchant.


Tentative d’intégration des minorités visibles par le travail



« Mon dieu, Charles-Édouard! Et si ce nouveau lumpen venait prendre la place du notre!! »
 » Brillant, Églantine. C’est justement ce que nous allons faire croire. Pendant que ces imbéciles se battront entre eux pour bouffer, nous serons tranquilles pour faire nos petites fraudes entre amis. »


Toute ressemblance avec des faits réels en France serait fortuite.


MONDOCHALLENGE – Les années collège/lycée

Raconte-moi tes années collège! Raconte-moi le lycée! Il faut bien l’avouer, je fais partie de ces jeunes qui ont du prendre leur mal en patience pendant des années. Et qui de très (trop?) vivants, sont passés à trop discrets…

Quand je suis entrée au collège catholique, je ressemblais à peu près à ça :

L’oeuvre civilisatrice de ce genre d’établissement n’est plus à démontrer. Peu à peu, je devins quelqu’un de poli et délicat, capable de tenir sur une chaise, vêtue de couleurs discrètes et assorties, faisant bon usage de la brosse à cheveux. Je découvrais les mœurs des familles françaises de classes moyennes à aisées, leurs habitudes estivales, et leur goût pour les labradors. Les langues étrangères et la musique entraient dans mon oreille et dans ma mémoire par une magie qui demeure inexpliquée, et je me souviens encore de nombreux morceaux de flûte, et de presque toutes les chansons apprises au cours de ma vie, et de la plupart des voix entendues. Peu à peu, on s’étonna moins que j’arrive à écrire sans fautes, à compter, et à lire un livre tout entier. Avoir des bonnes notes devint bientôt un état de faits, et plus un miracle, parce qu’elles arrivaient précisément sur ma copie, et non sur celle de ma voisine de table, dont le papa était naturopathe ou pédiatre. Mon intégration était en marche. Je me souviens d’ailleurs avoir été obligée, comme tous mes condisciples, de présenter un livre au choix à la classe. J’avais choisi Niourk, de Stefan Wul ; une sombre histoire d’enfant noir et de tribus barbares. Évidemment, c’était moins chic que Le Portrait de Dorian Grey, ou Viou, ou Jane Eyre. Chacun fait comme il peut.

Un jour, en 6e et avec une certaine condescendance, un professeur de français était venu me voir après avoir distribué le copies d’expression écrite. Elle m’avait demandé si je « parlais patois à la maison ». J’avais donc compris qu’il fallait plutôt se fier à Balzac et à Hugo pour apprendre la « vraie » langue française, où on peut dire « sarrau » et « brodequin ». Au cours de cette première année, j’avais rapidement cessé de compter les fois où certains profs me demandaient « tu comprends? », sans pour autant avoir l’audace de répondre « Bien sûr, vous l’avez déjà dit il y a 15 jours et trois fois au début du cours. »
Mais malgré ma bonne volonté, je ne pus faire face à deux ennemis de taille : le cours de sport, et l’ennui. Tant que j’ai pu me figurer que le cours de sport était une grande récréation, mes notes étaient médiocres, mais le temps passait relativement vite. Quand est tombée l’illusion, à la faveur d’une nouvelle activité appelée « course d’endurance », où l’on attendait de moi que je tourne en rond sur un terrain boueux et sous la pluie, il n’est plus resté que les notes médiocres. A la fin de la 3e, j’étais si bien intégrée que j’avais 16 partout – sauf en sport – et que j’étais la chouchoute de certains profs, même si je n’avais pas poussé l’effort de ressemblance jusqu’à porter un chemisier à col marin et une jolie barrette assortie. Malheureusement, le temps passé à avoir l’air comme les autres et à montrer que je pouvais faire aussi bien qu’eux – pas trop « mieux », c’était risqué – a fait que j’ai raté le virage qu’ils ont tous pris : l’adolescence. Je faisais des blagues qui n’amusaient que les adultes, tout en essayant d’observer ce qui faisait rire les autres jeunes, en ne comprenant pas la plupart du temps ce qui était drôle, mais riant quand même. Je me taisais beaucoup, ce qui facilitait les choses. J’avais une excellente amie qui lisait beaucoup et jouait au badminton. J’étais trop acclimatée scolairement, et je commençais à trouver le temps long. Il me fallait du neuf, et vite.


On m’appâta un jour avec une promenade en centre-ville. Je compris soudain, face à des grilles de fer forgé démesurées, que l’objectif de la promenade était de m’emmener aux journées portes ouvertes d’un grand lycée privé de centre-ville. Je me souviens avoir trouvé ce lieu épouvantablement vieux, poussiéreux, et avoir ressenti de l’angoisse, quand une mère a demandé bien fort pour que tout le monde entende, si il était gênant que son fils parle couramment anglais avec un léger accent américain pour entrer en classe européenne. J’étais tétanisée. Moi, je n’avais jamais mis les pieds aux Etats-Unis. J’ai gardé cet état de stupeur en toile de fond pendant trois ans qui m’ont semblé ne jamais finir. Je me sentais en prison. J’ai découvert qu’à 18 ans on pouvait avoir son propre cheval, et atteindre le bonheur suprême en recevant un carré Hermès, et avoir le champ de vision rétréci par des préjugés vieux de plusieurs siècles. Les quatre années précédentes m’avaient demandé des efforts d’adaptation éprouvants, et je voyais avec horreur que le théâtre social se poursuivait dans une veine plus absurde et malveillante. Les cours m’ennuyaient énormément ; rien qui n’avait pas déjà été dit les quatre années d’avant. J’ai perdu toute joie de vivre tant j’avais l’impression de rouiller au port, de stagner intellectuellement, et d’être enfermée avec des gens auxquels je n’aurais jamais rien à dire, et qui attendaient juste de la vie qu’elle passe. J’ai dormi pendant trois ans, alternant les cycles longs et courts, les phases de stupeur, et les 7/20 en sport. Je suis sortie du lycée avec un Bac mention européenne et un Advanced Certificate of Cambridge, et j’ignore comment j’ai fait. J’ai perdu des points à cause du sport. J’avais une excellente amie, aux cheveux rouges et avec un gros tatouage, et on se demandait bien ce qu’elle foutait là. Le dernier jour de cours, je suis partie comme une voleuse, vite, sans dire au revoir à personne. J’ai regretté de ne pas avoir été au lycée dans un lycée français en Afrique. Déjà, j’aurais eu beaucoup moins froid, et puis je suppose que personne ne m’aurait fait remarquer qu’il y avait plusieurs sortes de Français, et que les gens avec un nom comme le mien, n’étaient pas sur le haut du panier. Quant au programme… Je suppose qu’on lit Corneille là-bas aussi… 😉


INNLAND – 11 artistes venus de Norvège

Le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré – CCC OD- de Tours accueille 11 artistes représentant la création contemporaine de Norvège. Suivez le guide !


INNLAND : Thora Doven Balke – Ahmad Gossein – Tiril Hasselknippe – Saman Kamyab – Ignas Krunglevicius – Kamilla Langeland – Lars Laumann – Solveig Lonseth – Ann Cathrin November Hoibo – Linn Pedersen – Tori Wranes
Commissariat d’exposition : Elodie Stroecken et Thora Doven Balke


Lecture personnelle d’une exposition proposée par le CCC OD de Tours, INNLAND, regroupant 11 artistes norvégiens ou travaillant en Norvège. Du 11 mars au 11 juin 2017.

Certaines lectures des œuvres, réflexions n’engagent que moi, et ne sont peut-être pas imputables aux artistes.


La carte mentale


INN+LAND : les terres intérieures, loin de la côte, dans les terres, le « home », le foyer, national, à l’intérieur des frontières, indigène, l’arrière-pays, l’en-soi


Quelques rudiments d’allemand et d’anglais permettent d’imaginer ce qui se trame dans cette galerie noire. Tout d’abord, un rapport à l’espace physique, géographique ; mais aussi à l’espace mental, affectif. Donc un rapport de l’artiste à son territoire géographique : que nous disent-ils de la Norvège d’aujourd’hui ? Ces propositions sont-elles « indigènes », ou est-il aussi dénué de sens de parler d’ « art norvégien » que d’ « art africain » ?

“Personne ne fait d’art africain. Seuls les critiques font de l’art africain.“ — Simon Njami

INNLAND suggère un voyage intérieur aussi : la « géographie mentale », la « carte mentale ». D’ailleurs, les 11 artistes présentant leur travail ne forment pas habituellement un collectif. Certains ne sont pas « Norvégiens de souche », d’autres sont nés en Norvège, mais ont été formés ailleurs, travaillent dans d’autres pays. 11 voix singulières, donc, appelées pourtant pour se répondre, et pour répondre au visiteur qui se demanderait ce que l’art a encore à dire.


Till Roskens


En fait d’ « art géographique », comment ne pas penser au travail de Till Roeskens ? Je me suis intéressée au travail du géographe artiste lorsque j’habitais à Marseille. Il utilisait l’art de la cartographie et de la représentation de l’espace pour conter son exploration d’un territoire, sa rencontre avec ses habitants. Un voyage anthropologique et poétique, où il n’était pas question de s’approprier le territoire, mais d’y être invité petit à petit, et de partager ses découvertes avec les habitants.


« Nous mettrons quelques chaises en cercle au coin d’une rue, et je vous raconterai ce que j’ai vu et entendu, là, autour de vous, dans ce petit coin du grand nord de Marseille. Je prendrai un bout de craie, et tracerai sur le sol une carte des espaces fragmentés que j’ai parcouru deux années durant, du port jusqu’au sommet de la colline. Je vous dirai les êtres que j’ai croisé là et ce qu’ils m’ont confié de leurs vies mouvementées. » Plan de situation, Consolat-Mirabeau, conte documentaire de Till Roeskens, 2012


Till Roeskens s’est aventuré en terres inconnues, au cours de ce travail exploratoire de deux ans, il s’est fait casser la gueule, voler son vélo, on s’est d’abord méfié de lui. Puis l’artiste est devenu celui qui allait dire au monde ce qui se passe « à l’intérieur », là où on n’oserait aller.

Que nous disent les artistes d’eux-mêmes ? Quel rôle se donnent-ils ? Où se situent-ils ? Où nous emmènent-ils ? Que disent-ils de leurs rencontres avec l’autre ?


Hervé Di Rosa


Au MIAM, Musée International des Arts Modestes de Sète, on trouve une carte réalisée par Hervé Di Rosa et présentant les différents territoires de l’art, des plus évidents aux plus obscurs. J’ai longuement regardé cette carte quand je me suis retrouvée à Sète pour une formation en art-thérapie. J’y suis retournée plusieurs fois, et à chaque occasion d’aller à Sète, je ne manque jamais d’aller au MIAM.

Cette carte matérialisait la conviction que j’avais, sans arriver à la formuler, que parler une langue, écrire, danser, chanter, peindre, sculpter… étaient une seule et même chose.


« L’Art Modeste n’est ni un concept ni un mouvement. C’est un regard : il montre ce qu’on ne regarde pas. Il a des frontières mouvantes. »

Hervé Di Rosa


Cécile Vandalem


Dans cette exposition, on peut voir aussi bien des sculptures, que des installations, de la vidéo, de la photographie, une création sonore. Les disciplines se croisent, et la notion d’espace, de mise en espace semble si importante, que l’on se demande déjà où est la frontière entre « arts plastiques » et « arts de la scène ». En effet, les scénographies actuelles qui utilisent la vidéo, la création sonore, sont nombreuses. Par ailleurs, le théâtre, c’est de la mise en espace.
On pense par exemple à Tristesses, de Cécile Vandalem, présentée au Festival d’Avignon 2016 : « théâtre musical », « à la frontière du cinéma », « polar », « comédie politique ».


En découdre avec ce qui nous désespère quotidiennement, dans ce monde-ci.

2016, l’Europe subit une montée puissante des partis d’extrême droite. Parmi eux, le Parti du Réveil Populaire, dirigé par Martha Heiger, est en train de prendre le contrôle d’une partie des pays du nord. Sur l’île de Tristesse, un suicide a eu lieu ; le corps de la mère de Martha Heiger est retrouvé pendu au drapeau du Danemark. À l’occasion des funérailles, la venue de la dirigeante est annoncée. Deux adolescentes vont alors  entreprendre de saisir cette occasion pour écarter celle qui menace leur avenir. Mais le jour des funérailles, la situation bascule…


De quelle parole cette exposition serait-elle le théâtre ?


Le théâtre et son double – illusion d’optique


Ann Cathrin November Hoibo – Don’t step on the cables – 2017 – sculpture


CCCOD - Galerie noire - INNLAND

La proposition d’Ann Cathrin November Hoibo se présente comme un espace scénique. Au mur, un monochrome rouge. A droite du monochrome, une étagère de casiers métalliques blancs, chacun contenant un objet. Au sommet de la tour de casiers, une boule de verre blanc qui est un luminaire. Dedans, un papier plastique rose et blanc, un épis de maïs séché. Un long câble électrique part du luminaire et traverse l’espace de l’installation ; en son milieu, un adhésif rose fluo. Face au monochrome, un tabouret rond, de métal noir. L’assise est recouverte de tissu à motifs géométriques. Entre le tabouret et la tour de casier, plus loin du mur, une autre étagère de casiers plus petite, un autre tabouret identique. Un second luminaire, avec son câble et son adhésif rose fluo.
On pourrait se trouver aussi bien dans l’atelier de, que chez l’artiste, dans une pièce qu’elle viendrait de quitter. On est invité à être voyeur d’intérieur. On note un contraste entre l’intime, et le commun. Des étagères, des luminaires qui semblent venir de chez Ikea, et des objets que l’on suppose personnels. Dans les casiers, des objets que l’on voit à travers le treillis métallique, sans pouvoir les toucher, et que l’on suppose appartenir à l’artiste. Un pull en laine orange troué, un vêtement en coton jaune, un sac à main en skaï bleu. Un vêtement en laine tricotée rose, une paire de chaussures noires vernies… le tout impeccablement plié et rangé. A ces matières que l’on ne peut toucher que des yeux, s’ajoutent le tissu des tabourets et le skaï rouge du monochrome. Ici l’œil voit, et touche à la place des mains. L’œuvre est visuelle et tactile.


« haptique est un meilleur mot pour tactile puisqu’il n’oppose pas deux organes de sens, mais laisse supposer que l’œil peut lui-même avoir cette fonction qui n’est pas optique » (Deleuze, Mille Plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 614).


On est également invité à déambuler dans ce décor que l’on ne peut toucher : l’œuvre sollicite un engagement physique chez le visiteur, au-delà de l’appréciation esthétique.




Illusions d’optique : les effets miroirs – les rimes plastiques


Le monochrome est seul et unique, tandis que les autres éléments ont un double : tabouret, étagère, luminaire, câble, adhésif. L’ensemble « tabouret-étagère-luminaire » se répète, comme une rime plastique. Il y a un effet miroir, un effet de symétrie visible, mais il est bien compliqué de trouver l’axe de symétrie, ou où se situerait le miroir. Les objets semblent effectuer une translation qui nous échappe.

L’installation sonore et lumineuse de Tori Wranes, Invisible Diva, cherche à donner l’illusion de la présence de deux divas trolls dont les chants se répondent de part et d’autre de l’espace d’exposition. A moins, comme le titre de l’œuvre le suggère, qu’il n’y ait qu’une seule et même diva invisible, qui se déplace dans le lieu. Reste alors à savoir quel chant est l’écho de l’autre.


Saman Kamyab Untitled #3/4 – Confusion (Sunrise) #1/2/3/4


Saman Kamyab propose deux travaux, créés pour l’exposition.

Une installation multimédia, Untitled #3/4, comportant deux éléments quasi identiques posés au sol, composés d’une vidéo de c. 24 minutes, diffusée sur un écran de télévision plat panoramique. Il s’agit d’un plan fixe sur un enregistreur H4n, appareil servant à capter le son, aussi bien pour le field recording, musiciens ou interviews radiophoniques, cinéma… On ne comprend qu’il s’agit d’une image en mouvement que lorsque l’on repère le temps qui défile sur l’écran de l’enregistreur, en marche donc, et qui semble réaliser une captation sonore qui nous échappe, et dont nous pourrions faire partie. L’œuvre est non sonore ; le son est donc suggéré par l’image. Sous l’écran de télévision, une plaque d’isolation, sur laquelle tiennent 5 ou 6 rangées de photographies en couleur (impression jet d’encre sur film transparent) par électricité statique. Il semble s’agir d’une recomposition de la partie haute de l’œuvre. L’écran non sonore suggérant le son est repris dans la plaque d’isolation, qui « absorbe le son » ; les photographies sur film peuvent suggérer une pellicule cinématographique. Il est à noter que Saman Kamyab est photographe et cinéaste.
CCCOD - Galerie noire - INNLAND
Sa deuxième proposition, Confusion (Sunrise) #1/2/3/4, est un quadriptique. Chaque « tableau » se compose d’un cadre en aluminium, de plaques de carton, d’une photographie abstraite, en couleur, impression jet d’encre sur film transparent, le tout laqué à la résine époxy. Il s’agit bien à la fois de quatre objets identiques et pourtant différents. Les reliefs et effets de matière donnés par la résine époxy varient d’un tableau à l’autre. L’image sur film transparent prend un aspect de pâte de verre, de vitrail, d’émail, selon les endroits. En s’approchant, on voit des bulles et des crevasses. La résine époxy a rongé le film transparent, ou alors ils se sont fondus l’un dans l’autre. Ainsi, pour aboutir à l’œuvre, il faut la détruire. Cet ensemble serait plus un processus qu’une œuvre achevée. Elle continue imperceptiblement de se dégrader. La résine epoxy se décolle par endroits. L’illusion du verre intrigue beaucoup de visiteurs, « En quoi c’est ? ». Certains joignent le geste au questionnement, et tâtent les tableaux du bout de l’index. La même question – « De quoi est-ce fait ? » – se pose aussi devant le monochrome rouge de Ann Cathrin November Hoibo (cuir ou skaï?), devant l’œuvre In Good Hands de Thora Doven Balke (feuille de silicone), et pourtant, les visiteurs s’autorisent moins cette exploration tactile. Pourquoi ?

CCCOD - Galerie noire - INNLAND


Solveg Lonseth, At certain hours, sunlight falls in oblique lines, sculpture


Solveig Lonseth propose une sculpture, At certain hours, sunlight falls in oblique lines, en pin, ayant la forme d’une longue poutre de 350x15cm. La sculpture est placée devant une verrière, qui a été fermée par un volet pour les besoins de l’exposition. Au cours de son travail préparatoire, l’artiste avait remarqué que la lumière du soleil rentrait dans l’espace d’exposition en rayons obliques, et traçait une forme sur le sol. Elle a fait des relevés de cette forme, et s’en est servi pour réaliser cette sculpture. La poutre de pin est taillée en biseau sur la face présentée à la verrière fermée, comme pour recevoir cette lumière qui n’entre plus, elle matérialise l’absente dans l’espace de l’exposition de la « galerie noire ». Si l’on s’éloigne un peu de l’objet, se rapprochant de la verrière, on remarque qu’une ombre rectangulaire est projetée sur le sol par la sculpture, comme une lumière noire.

Par ailleurs, si le pin est un arbre fort commun en Norvège, et nécessite beaucoup de lumière pour se développer, la sculpture est faite d’un arbre mort, exposé dans une pièce sombre. Comme chez Saman Kamyab, il est nécessaire de détruire l’objet – l’arbre – pour en faire une œuvre. On note que cette idée d’absence et de deuil parcourt, à des degrés divers, toutes les œuvres présentées dans cette exposition : deuil d’une vie antérieure, mort d’une utopie, décès d’un ami, empreinte photographique…

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Rimes plastiques dans l’exposition


L’œuvre de Solveig Lonseth est le point de départ de deux séries de rimes visuelles dans l’espace de l’exposition.

Lorsque l’on se tient dos à la verrière, face à l’œuvre, et que l’on regarde en face de soi, on aperçoit l’installation de Thora Dolven Balke « de profil », puis une partie de celle de Linn Pedersen. On note une alternance du blanc et du noir répétée trois fois. Blanc du bois de pin et noir de l’ombre projetée, blanc des objets en silicone et noir des objets en fer, blanc des chaises de jardin et noir de l’estrade en bois brûlé.
Placé au même endroit, regardant à droite, on aperçoit les travaux de Saman Kamyab et Kamilla Langeland. Il y a un effet amusant de « réalité augmentée » : une sculpture, deux écrans, trois travaux photographiques, quatre panneaux laqués à la résine époxy.


La réalité augmentée


Kamilla Langeland – 3 œuvres photographiques en couleur – Charmer n°1, Charmer n°2, Desire


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Il est difficile de dire comment l’artiste a réalisé ces images, qui semblent être chacune une somme d’images superposées, sans rapport évident entre elles, comme des « heureux accidents », à partir de « choses vues » de notre quotidien. On y voit des objets, des fruits, à des échelles différentes. Des polices d’écriture et d’autres objets sont incrustés dans les images, et on ne voit d’ailleurs que leur empreinte, ou même le « trou » blanc qu’ils y font. Il semble qu’elle a utilisé une technique différente pour ces objets-ci : le photogramme. Enfin, elle s’est autorisée à taguer son propre travail, rajoutant des dessins à la craie grasse, collant de la feuille d’or, directement sur les tirages. Mille-feuille visuel, et image multi-dimensionnelle.


Confusion des genres : cinéma, au delà du réel.


Ahmad Ghossein et Lars Laumann proposent chacun une vidéo, narrant des faits réels.


Ahmad Ghossein – The Fourth Stage – 2015 – vidéo HD couleur en arabe VOSTRF – 37 min


Deux histoires cohabitent dans cette vidéo. La rencontre de l’auteur avec un magicien ventriloque libanais, qu’il suit dans ses spectacles de magie, où il se met en scène en tant que spectateur. A la fin du tournage, le ventriloque meurt, emportant avec lui l’enchantement du quotidien, alors que prolifèrent dans l’espace public libanais des formes géométriques, des sculptures monumentales aux gâteaux produits dans les pâtisseries. Le réel est colonisé progressivement par ces images sans affect, et qui s’imposent à tous.


Lars Laumann – Season of migration to the North 2015 – installation vidéo


Un écran suspendu dans une structure en échafaudages, dans laquelle le visiteur est invité à s’asseoir. A l’écran, un défilé de mode, à Khartoum. Une voix off raconte Eddie, jeune homme soudanais, qui, en 2010, est raflé par la police en raison de son homosexualité suite à ce défilé. La voix raconte son itinéraire jusqu’à Oslo, et les préjudices subits là-bas en raison de son homosexualité, et là-bas parce qu’il est noir, et là-bas parce qu’il est musulman.

Deux écritures à partir du réel qui témoignent des atteintes aux libertés dans deux pays majoritairement musulmans, et appellent à une reconquête de l’espace public. Il s’agit pour moi ici des deux œuvres les plus « politiques », puisqu’elles montrent les dérives d’un pouvoir autoritaire, sans pour autant s’y attaquer. Ce choix d’oeuvre témoignerait-il de la « peur de l’Islam » de l’Europe? Ou est-ce un avertissement donné par les artistes?


« L’art n’arrive que si on met sa culture en danger. »
Dany Laferrière, L’art presque perdu de ne rien faire


Images de l’intime, les deux vidéos donnent à voir des éléments de la vie personnelle soit de l’auteur, soit d’un proche. On se situe dans le journal intime filmé. Echo troublant à la surexposition constante de notre vie personnelle sur les réseaux sociaux, comme l’impossibilité d’une parole collective. D’ailleurs, cette exposition n’est pas celle d’un collectif d’artistes.


« L’art, pour moi, c’est quelqu’un qui se réveille dans le noir en criant : « Qu’est-ce que je fais ici? Et comment on sort d’ici? »
Dany Laferrière, L’Art presque perdu de ne rien faire


Une voix d’artiste s’élève contre un « corps social » aveugle et sourd, difficile à délimiter. Seul face à ce corps social, il n’a pour lui répondre que son propre corps, son intimité, sa vie privée, voire celle des autres qu’il s’approprie. Cette exposition aurait pu s’appeler FRAGMENTS, car elle fonctionne comme un album d’images, sans unité de lieu, de temps et d’action.


Arthur, où t’as mis le corps ?


Certes, il s’agit d’œuvres plastiques, alors, on peut supposer que le rapport au corps humain, notamment au corps de l’artiste, évident et immédiat, existant dans le théâtre, la danse ou la musique ne peut être semblable. On note cependant que plusieurs œuvres abolissent la notion de « corps humain ».


Le corps éclaté


In Good Hands 1, 2, 3 – Thora Dolven Balke


La deuxième installation de la série présentée par l’artiste se compose de trois feuilles de silicone découpées, suspendues au mur par des pinces métalliques à des barres métalliques. Le silicone blanc, laiteux, découpé dans des formes évoquant celle d’un maillot de corps, ou d’une chemise à bretelles, semble suspendu à un cintre. Matériau proche de la peau, utilisé d’ailleurs pour les prothèses, le silicone ici donne l’impression d’une peau vide, d’une mue. A moins qu’il ne figure une présence fantomatique ? Au pied de cette installation, un ensemble de moulages en fer, noirs, réalisés à partir d’éléments de canalisation, dispersés sur le sol de la galerie. Ces objets figurent un corps démembré. Cette troisième installation complète la précédente, en s’y opposant par la couleur (noir/blanc), par la texture (lisse/souple, rugueux/dur), le poids (lourd/léger), la température (le métal est froid). L’une est du coté de la présence materielle, palpable, quoique morbide ; et l’autre du coté de l’absence. On retrouve la même idée de présence/absence, de « ce qui n’est plus », d’empreinte, que chez Solveig Lonseth.

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La voix désincarnée


Tori Wranes, Invisible Diva


La/Les Diva(s) de Tori Wranes : une voix humaine sans corps parcourt l’espace, et s’exprime dans une langue inconnue.


Le post-humain


Ignas Krunglevicius – Squeeze – sculpture


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L’artiste a réalisé une installation faite de « ballons noirs solaires remplis d’air, munis de ventilateurs. En chauffant, la densité de l’air permet aux ballons de s’élever. » La sculpture est « présentée dans la galerie transparente, visible dans son ensemble uniquement depuis l’extérieur [du Centre d’Art Contemporain] et seulement en partie à l’intérieur [de la galerie noire] » – « Fiches artistes » d’Auriane Gabillet, médiatrice au CCC OD.
L’artiste souhaitait représenter une fibre musculaire qui enserre le bâtiment. Il fait référence aux structures utopistes gonflables et mobiles des années 60. Il s’intéresse dans ce travail à ce qu’il advient des utopies, et des idées que l’on se faisait alors du « futur », lorsque ce futur devient la réalité dans laquelle nous vivons. Il s’agit de sa première sculpture gonflable exposée. Au cœur de son travail, la notion de «monde post-humain », telle que définie aujourd’hui dans les think tanks techno-libertariens de la Silicon Valley. Pour ces derniers, viendra un jour où l’humain fusionnera avec l’intelligence artificielle, dépassant ainsi les limites propres au corps humain, pour devenir immortel. Il fait se rejoindre ainsi les anciennes utopies, avec de nouvelles, interrogeant la notion même de « futur », qui semble devenir toute relative, et nous pousse à nous interroger sur ce qu’il reste, lorsqu’une utopie meurt, parce qu’elle est dépassée.

On note que les corps en mouvement et bien vivants apparaissent dans les deux vidéos, et qu’il s’agit surtout de corps d’hommes. Ainsi, le corps de la femme, visible jusque dans les pubs de yaourts aux arrêts de bus, disparait des oeuvres exposées ici.


Stigmates


Des œuvres qui disent le temps qui passent, et l’empreinte laissée par l’homme.


Linn Pedersen – Ivory Tower – installation


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L’artiste propose une installation composée de 8 chaises de jardin en plastique blanc, vieillies, voire cassées, et empilées. Elles reposent sur un socle de bois brûlé, technique ancienne pour conserver le bois. Une série de 6 photographies argentiques réalisées à la chambre noire (4 noir&blanc, 2 teintées : 1 bleue, 1 sépia), et de 2 cyanotypes complète l’ensemble.
Au hasard d’une promenade, l’artiste serait tombée sur ces chaises remisées dans un garage, car jugées trop laides, et portant atteinte par leur présence à la beauté de carte postale du village de Norvège où elle habite. Elle les aurait ressorties pour les mettre en scène dans l’espace extérieur, d’où elles avaient été bannies. Ce sont ces chaises que l’on voit sur les photographies.

Des objets produits par l’homme en série, utilisés quotidiennement, doivent soudain disparaître du réel lorsque pour une raison esthétique, ils deviennent indésirables. Par son travail photographique, elle transforme ces rebuts en œuvres d’art. On retrouve l’idée baudelairienne « Tu m’as donné ta boue, et j’en ai fait de l’or. » Par ailleurs, on note qu’elle utilise des procédés de création anciens, et fait ainsi cohabiter plusieurs espaces temporels, par lees empreintes qu’ils laissent.
Il arrive que les visiteurs fassent un parallèle avec certains êtres humains « mis au rebut » de la même façon que les chaises. La démarche artistique prend alors une dimension de quasi réhabilitation.

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Tiril Hasselknippe – Balcony – série de trois sculptures


Trois sculpture en béton moulé, inclusion d’acier soudé, ordinairement exposées dans le jardin botanique de Kristiansand, en Norvège.

Deux sculptures sont placées dans la galerie noire, une à l’exterieur du CCC OD. Les Bacony ont un aspect de ruines, une allure de bunker ou de sarcophage. Le béton est çà et là rongé par les températures extrêmes. Creuses, les structures contiennent des débris végétaux du parc d’où elles proviennent. Ce sont des « fausses ruines » d’un passé à imaginer, bientôt colonisées par la nature. Ces sculptures font écho à l’univers post-humain d’Ignas Krunglevicius, même si ce dernier se situe dans l’hypertechnologie plus que dans la reconquête par la nature.

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En se penchant sur ces œuvres, l’idée d’ « art national » devient absurde. On y voit un monde humain sur le déclin, finissant, et cherchant dans les utopies et le merveilleux des possibilités de renouveau. Ni optimiste, ni pessimiste, ni politique, s’y lit plutôt une attente inquiète. Cette recherche de métissage, de renouveau peut s’appliquer à la création artistique elle-même, si l’art témoigne toujours de son époque.


Qu’est ce qui est beau? Qu’est-ce qui est vrai? Qu’est-ce qui est juste?


 


Zamanana, Zieurouges et Manga – épisode 4

Suite du conte sauce gasy. Episode 4 : où le village devient Ambohimiantsa, et où Manga reste Manga.
« -Cher Manga, pour te remercier de ta bravoure dans cette lutte contre Zieurouges, j’ai composé pour toi ce remède aux mille plantes de la Grande Île… C’est un produit très puissant… Une goutte annulera la malédiction que t’avait lancé Zieurouges, il y a des siècles, te transformant en… en… en créature magique. Une goutte, et tu retrouveras ta forme humaine, et tu seras l’un des nôtres… Tu pourras de nouveau parler, chanter, danser, rire, aimer… » Murmures d’approbation dans l’assistance. « Fais bien attention à n’en boire qu’une goutte, une autre goutte, même le commencement du début d’une autre goutte te retransformerait en créature… » Les villageois retenaient leur souffle. Tous imaginaient comment serait le prince Manga. A n’en pas douter, beau, très beau et très fort… Les jeunes femmes se poussaient pour être devant. Des siècles de célibat, ça devrait lui donner des idées, à ce prince guerrier ! Les anciens se disaient qu’avec tant de sagesse et de courage, Manga avait l’étoffe d’un chef, pourvu qu’il n’ait pas la peau… un peu trop… enfin, vous voyez… Les hommes déjà en place se demandaient comment ils pourraient le corrompre. Les mères surveillaient que leur fille était bien en vue, et lançaient des regards de louve aux autres mères. Les jeunes hommes se tenaient le plus droit possible, pour ne pas être trop ridicules à coté du prince Manga.

Manga bondit sur la table où le mpsikidy avait posé la potion. Il huma le pot, grogna puis en lapa une goutte. Pas un bruit dans l’assistance. Quelques secondes s’écoulèrent, puis Manga s’écroula sur la table. Le mpsikidy ordonna aux musiciens de jouer, allongea Manga sur l’estrade, puis le couvrit d’un grand tissus. Il récita des prières, tous chantèrent, jetant des regards inquiets et émerveillés vers le tissu qui semblait se débattre. Soudain, le mpsidiky regarda vers le tissu, et se figea, ébahi. Les musiciens s’arrêtèrent. Une forme humaine se dressait lentement, se drapait dans le tissu. Puis Manga se leva, face à un silence consterné. Manga avait pourtant des traits tout ce qu’il y a de plus harmonieux, une allure princière, un port altier. Manga avait toujours les mêmes immenses yeux clairs, le même regard perçant. Sa peau n’était pas orange, mais d’une extrême blancheur. Ses cheveux n’étaient pas orange, mais ébène, épais et longs. Un murmure de dépit partit du premier rang, se transformant çà et là en soulagement, jusqu’au dernier rang. Manga n’était pas un prince. Manga était une princesse. Déjà, les jeunes femmes et les femmes mariées lui lançaient des regards de crainte et d’envie. Déjà, les hommes la regardaient avec appétit. Déjà, les anciens étaient retournés à leur partie de cartes, les hommes influents à leurs affaires. Les petits garçons étaient déçus, les petites filles incrédules. Manga n’était plus qu’une belle femme, mortelle, sans pouvoirs, à laquelle on pensait déjà faire payer ses accusations de détournement de fond et d’adultère. Manga chercha le regard de Zamanana. Il était perdu, loin, loin… Manga se tourna vers le mpsidiky, surprit son regard sur elle, ce qui le fit rougir et baisser les yeux. Alors, Manga se jeta sur le pot de potion resté sur la table. Haaaan !! Fit l’assistance Haaa !!! fit le mpsikidy Manga avala tout ce qui restait de potion dans le pot, et s’écroula. « ça pue ! Ça pue ! » se mit soudain à hurler Zamanana. « Haaaaan !!! » firent les villageois, qui craignant une catastrophe quelconque et pour leur vie, se mirent à courir dans tous les sens. Zamanana se frayait un chemin à travers cette foule hystérique, distribuant des « Tu pues ! » à tous ceux qu’elle croisait. Elle s’approcha du tissu, sous lequel Manga mal en point se tenait en boule. Elle lui parla dans une langue que personne ne comprit, pas même le mpsikidy. Elle l’enveloppa dans le tissu, le serra dans ses bras, puis s’enfuit en courant.

L’enfant ne reparut que le soir, sans Manga. « Où l’as-tu mis ? Où est-il ? » demandèrent les villageois, inquiets de voir leur village dépossédé de son protecteur qui, outre être magique, faisait venir des touristes. « Où est-il ? Où est-il ? Voleuse ! » Mais Zamanana ne répondait pas. « Est-il seulement vivant ? Est-ce qu’il va bien ? » Pas de réponse. Les enfants qui aimaient beaucoup Manga pleurèrent. « Où est Manga ? Reviendra-t-il ? » Pas de réponse. Tous semblaient avoir chassé de leur esprit la courte période humaine de Manga. « Où est Manga ? » Les villageois devenaient insistants, menaçants, pressant Zamanana de questions. « Laissez cette enfant tranquille ! » Ils s’écartèrent et laissèrent passer le mpsikidy, qui prit la main de Zamanana et l’emmena auprès du manguier sacré, là où personne n’oserait l’embêter. Ils restèrent assis tous les deux un long moment au pied du manguier, en silence. Zamanana se leva, puis commença à grimper dans le manguier. « Mais que fais-tu ! Que fais tu ? » lui demandait à mi-voix le mpskidy, qui roulait des yeux épouvantés à gauche et à droite, espérant qu’aucun villageois ne serait témoin de ce sacrilège. Zamanana redescendit, et tendit un livre au mpsikidy médusé, puis s’enfuit en courant. Inferno, Dante Alighieri.

Les villageois commencèrent à venir prier au pied du manguier, à y laisser des fleurs, des fruits, des images religieuses, des bougies. Tout cela faisait enrager le maire, mais amusait beaucoup le mpsikidy. Mais Manga ne revenait pas… Les graines refusaient obstinément de parler. Zamanana refusait obstinément de parler. Alors, les villageois vinrent chanter au pied du manguier tous les soir. Des enfants bientôt naquirent, qui n’avaient pas connu Manga. Alors pour eux, le soir, au pied du manguier, on se mit à raconter les aventures de Manga. Avec un peu de broderie, parfois, mais vous savez ce que c’est, capter un auditoire exigeant, ce n’est pas rien. L’intervention de Guevara, qui houspillait les salisseurs de mémoire qui perfidement, sournoisement et insidieusement, omettaient de dire aux générations futures que Manga était une femme, faisait partie intégrante de l’histoire.

Un soir, le mpsikidy entendit du bruit sur le toit de sa maison. Fou de joie, il se précipita à l’extérieur. Rien. Il écouta la nuit. Rien. Il fit le tour de sa maison. Rien. Il rentra, et se surprit à pleurer comme un enfant.

Le lendemain, il fut impossible dans le village de capter une autre radio que la radio diffusant du jazz non stop. Cela dura onze jours. Alors, les villageois qui pour la plupart n’étaient pas très friands de jazz, se mirent à chanter. Tant et si bien, qu’alentours, on appelait le lieu Ambohimiantsa.

Un matin, le mpsikidy entendit une chanson étrange, dont il ne comprenait pas les paroles. Il tendait l’oreille, impossible de reconnaître la voix. Comme la chanson s’éloignait, il ouvrit en hâte la porte de sa maison, et trouva Zamanana, calme, souriante. Personne d’autre. « C’est toi ? » Zamanana le regarda longuement, et ne répondit pas.

La disparition de Manga excita les appétits du maire d’Ambohimiantsa. Les chants et les cérémonies du manguier rendaient le village suffisamment touristique. Or, le manguier poussait au milieu d’un terrain sur lequel lorgnaient plusieurs promoteurs… Plus de Manga, plus rien à craindre ! Le folklore, c’est le folklore, on pouvait bien le déplacer de quelques mètres, au pied du baobab, tiens, là-bas. Et puis un baobab, ce n’est pas rien, ça en impose plus pour les touristes qu’un petit manguier ! Sans rien dire, le maire vendit le terrain au plus offrant, puis attendit le jour de son allocution mensuelle pour annoncer la fin du manguier et la migration folklorique baobabesque qui s’en suivrait. Il avait poli son discours comme un diamant. Ses arguments étaient si affûtés qu’il parviendrait même à convaincre les plus réticents que c’était leur propre idée. Il avait pris soin de rendre le mpsikidy malade, en indiquant sa maison à une fort belle démone, qu’il paya fort cher, pour qu’elle aille lui donner toutes les maladies les plus honteuses qu’elle avait en stock. Le mpsikidy n’aimait pas l’argent, mais il restait un homme… Le jour dit, face aux villageois, il pris un air plein de componction au pied du manguier dont il s’apprêtait à annoncer la fin. Soudain, il vit le mpsikidy dans l’assistance. « Alors, maire, ce discours ? Nous attendons. Sache au passage que les esprits malins ne peuvent pas rentrer chez moi, même pourvu des plus beaux appâts. » L’assemblée gloussa. Le maire toussa. Il commença son discours. Zamanana vint se placer à coté de lui, les mains derrière le dos. Soudain, une mangue tomba aux pieds de Zamanana. Elle regarda la mangue. Puis le maire. Puis la mangue. Puis le mpsikidy. Puis la mangue. Ni tenant plus, elle tendit les papiers qu’elle tenait derrière son dos au mpsikidy, puis ramassa la mangue pour la manger. Le mpsikidy interrompit le maire : « Il n’y a qu’un p à compromis de vente. Et « certifié exact » s’écrit avec un « c »… » L’assemblée vint s’agglutiner autour du mpsikidy pour lire le feuillet. « Haaan ! Oh ! Aaah ! », fit l’assemblée qui tourna son air indigné vers le maire. « J’ignore ce que dit ce feuillet, mais… » Paf, une mangue pourrie s’abattit sur son costume sur-mesure. Une… Une mangue pourrie ? L’assemblée retenait son souffle. « Mais je dois vous dire que… » Paf, une autre mangue pourrie lui aplatit le nez. Paf, une autre mangue pourrie vint cirer ses chaussures de cuir noir. Des dizaines de mangues tombèrent alors de l’arbre. Poussant des cris de joie, les villageois s’en saisir pour les lancer sur le maire, qui dut s’enfuir en courant vers la foret, et on ne le revit plus jamais. Ambohimiantsa devint un village autogéré, où les rares conflits trouvaient leur solution en chanson au pied du manguier.


Zamanana, Zieurouges et Manga – épisode 3

Suite du conte sauce gasy… La mort de Zieurouges (la méchante).
A peine l’aube se faisait-elle, que Manga se trouvait tiré du lit – comme un escargot hors de sa coquille – par la main décidée de Zamanana, qui le fourra dans un grand sac à dos, dont elle avait pris la peine de garnir le fond d’un coussin. Manga allait râler mais, il faut dire que le coussin était moelleux, et il trouva dans une petite poche des gâteaux qui lui semblèrent fort bons. Il soupira. Son séjour auprès des hommes ne l’arrangeait guère, il se laissait corrompre d’un rien. Comme de bien entendu, Zamanana avait espionné la cérémonie secrète d’hier soir, et en savait bien assez, sans avoir à se farcir les discours pompeux et interminables de toutes les huiles -même pas bio – et rois fainéants locaux. Elle avait justement supposé que ces jeux de mollet ennuyaient aussi Manga, et que la meilleure façon d’y échapper était de partir à l’heure où les infidèles, les voleurs et les sorciers regagnent leur domicile sur la pointe des orteils. Zamanana, protectrice du village, était crainte et respectée. Ainsi, personne n’aurait jugé opportun de s’étonner auprès de ses parents de l’avoir croisée pourvue d’un gros sac à dos à cette heure si suspecte. Le pelage flamboyant de Manga, hérésie pure en matière de camouflage, cependant, nécessitait quelques précautions. Qui sait ce que les désœuvrés auraient pu supposer ? Ceux de qui la conduite offre le plus à rire/Sont toujours sur autrui les premiers à médire ;/Ils ne manquent jamais de saisir promptement/L’apparente lueur du moindre attachement,/D’en semer la nouvelle avec beaucoup de joie,/Et d’y donner le tour qu’ils veulent qu’on y croie.

Ils firent une escale chez le mpsikidy, qui déversait des ronflements à pleine fenêtre. Manga bondit hors du sac, alla chercher le dossier pour l’Institut Français sur le bureau, et l’apporta à Zamanana. Au lieu de s’engouffrer dans le sac, il fit demi-tour. Zamanana fronça les sourcils. Manga alla faire sa sélection dans la réserve personnelle de talismans du mpsikidy. On n’est jamais trop prudent. Il revint bardé de pierres et de perles, de plumes, une boite de Colicalme en bandoulière. Zamanana pouffait. D’un regard mesquin, Manga lui fit observer que lorsque l’on a le même accoutrement que Dora l’exploratrice, on ne la ramène pas trop. Puis, très digne, emperlousé et emplumé, il entra dans le sac à dos. Ils se mirent en route.
Lorsqu’ils furent loin du village, sur une autre colline, Zamanana s’arrêta dans le levant, et ouvrit le sac. Assis l’un à coté de l’autre, Zamanana et Manga regardaient le village s’éveiller. Puis ils repartirent avant que le ciel ne soit trop clair, et s’enfoncèrent dans la foret. Ils ne savaient pas où ils allaient, mais ils y allaient, d’un pas sûr et déterminé. La quincaillerie de Manga se prenait parfois dans les branches ; alors Zamanana l’aida à s’en défaire, et rangea le tout dans le sac à dos.

Après avoir longtemps marché, ils arrivèrent au pied d’un Baobab. Ils s’appuyèrent à son tronc pour se reposer. « Entrez, mes enfants, soyez les bienvenus ! » Entre veille et sommeil, ils entrèrent dans l’arbre. Il y faisait doux, on y était bien. On s’y sentait léger… Une odeur de vanille… Ou peut-être de noisette grillée… On y flottait, comme dans un bain bien chaud… « Je sais la raison qui pousse vos pas. Je peux vous aider dans votre combat contre l’infâme Zieurouges. Pour trouver son antre, Manga, tu auras besoin du nez de Zamanana. Le monstre s’en prend aux enfants, alors Zamanana doit rester ici à l’abri. Mange cette fleur, Zamanana, tu seras liée à Manga comme dans un rêve, il sentira par ton nez, et toi, tu verras par ses yeux, sans rien craindre de Zieurouges. » Zamanana mangea la fleur. « Manga, écoute bien. Zieurouges est un être de verbiage et de vent. Il te faut pour l’affronter, retrouver l’usage de la parole. Mange ces cinq graines. » Manga mangea les cinq graines. « Zieurouges est faite de verbiage et de vent. Il faut, pour la faire éclater, l’énerver cinq fois, de cinq manières différentes. Je vais, Manga, t’envoyer dans le lieu désolé où le flair de Zamanana te permettra de trouver l’antre de la bête. »

Manga serait bien resté encore dans le Baobab, mais il se retrouva dans un lieu horrible, parcouru de zombies et d’agressions sonores : un centre commercial. Saisissant son courage à deux pattes, il commença sa progression dans l’endroit, truffe en l’air. Une pollution olfactive dont il n’avait pas idée s’imposa à lui. Parfums de synthèse, viande séchée, sueurs diverses et leurs haleines, détergents, animaux… Mais il flairait autre chose, une odeur sans nom dans la langue, une odeur d’épouvante. La truffe grande ouverte, il se fraya un chemin parmi les zombies, qui ne s’étonnèrent pas même de voir un chat géant roux déambuler en se tordant le cou. Manga passa le rayon des textiles fabriqués en Chine, puis les caisses où on arnaquait systématiquement les touristes non habitués à cette monnaie qui comptait tant de zéros. L’odeur se précisait… Il ferma les yeux, et demanda à Zamanana de le guider. Il avança alors comme un somnambule. Soudain, il sentit que le sol se dérobait sous ses pattes, il lui sembla tomber de plusieurs mètres – mais vous connaissez sa tendance à l’exagération – pour s’échouer avec un poc mou sur un sol gras. « Qui va là ? », brailla une voix rogommeuse. Manga se redressa, et tapota son pelage du bout de la patte avec un air dégoûté. « Qui va là ?! », insista la même voix. Manga distingua une énorme masse, pourvue de deux bras, deux jambes, surmontée d’un visage de femme fort laid. La couleur des yeux de la créature ne laissait aucun doute : Zieurouges ! Manga s’approcha de la créature fétide.

« – Quoi ! C’est toi ! Qu’est-ce que tu fous là ?

  • Je suis venu te tuer, répondit simplement Manga

  • AHAHAHAAHAH !!! Soit, tu as envie de jouer. Pourquoi pas. Plus d’enfants à massacrer, dans le coin, depuis que l’école n’est plus gratuite ni obligatoire, je m’ennuie un peu. Comment as-tu retrouvé la parole, d’ailleurs ?

  • C’est une longue histoire.

  • Ça ne m’intéresse pas. Les histoires, j’en ai déjà autant que je veux, regarde tous ces livres ! AHAHAH ! Compose-moi une devinette en cinq vers, qui ne figure dans aucun de mes livres, que personne n’a jamais entendu. Si tu échoues, je te tue.

– Frein moteur/Roue motrice/On progresse/Écrane protectrice/Le désert avance
– … Tu es malin, Manga…
– 3-3-3-5-5, et même 3-3-3-[2+3]-[3+2]. Que dis-tu de ça, Zieurouges ?
– Que tu es un insolent. Mais que tu n’as rien à dire.
– Je dis pourtant en cinq vers que la féminisation de la langue française est un leurre en matière de féminisme !
– Rhaaa ! Tais-toi ! Que t’importent les luttes féministes, bête poilue !
Manga fut très vexé par cette appellation, mais n’en laissa rien paraître. Et de une. Allongé sur le flanc, il fit des mouvements de queue languides, puis d’une voix lasse demanda :
– Bon, quelle est la prochaine épreuve ?
– Révèle-moi une chose que j’ignore sur les objets qui m’entourent. Si tu échoues, je te tue.
Manga considéra les objets d’art, tableaux, statuettes, instruments de musique, livres, bijoux, parfums, étoffes qui encombraient la pièce. Puis :
– Le tableau, là, au-dessus de ton bureau, c’est un faux.
– Impossible ! Je l’ai volé lors de l’inventaire de l’atelier de l’artiste, quelques jours après sa mort !
– Oui, mais c’est une porte.
– Quoi ???
– Peinte en rouge, et fixée horizontalement, mais c’est une porte.
Folle de rage, Zieurouges se jeta sur le tableau, et dut se rendre à l’évidence qu’il était pourvu de gonds.
– Quel escroc ! Quel gredin ! Hurla Zieurouges à l’adresse du neveu de l’artiste, qui s’était établit galeriste.
– Oui, poursuivit Manga tranquillement, quelques jours avant sa mort, la vieille Ouli avait entrepris de repeindre les trois portes de son atelier. Comme elle faisait des monochromes, évidemment, sans avoir l’oeil exercé, on pouvait croire…
– Tais-toi ! Rrrrrrrrhhhhaaaa !!!! Tais-toi !!! rugit Zieurouges, écarlate de colère.
Et de deux. Zieurouges décrocha vivement le téléphone, composa un numéro, puis se servit un double scotch en attendant que son interlocuteur décroche.
«  – Allo, Grocuss ? – Elle appelait la tête pensante de la pègre locale. – Ton mignon, là… Le galeriste… Il s’est bien foutu de toi… – Elle lampa la moitié du verre. -Tu es près du Ouli, là ? Lequel ? Comment, lequel ? A ton avis, crétin ! Le Jumeau Rouge ! Si tu es chez ta maîtresse, c’est pareil. Même si cette cruche l’a accroché dans sa cuisine… Elle est dramatique… Enfin, ce n’est pas pour ses talents de décoratrice que tu la fréquentes, hein, on est bien d’accord… – Elle finit le verre, et l’agita au dessus de sa lippe pour avoir la dernière goutte. – Ça y est ? Alors regarde bien. Tu t’es fait enfler. C’est une porte. Voilà, bonne soirée ! » Elle raccrocha vivement, avec un rire cruel. Puis elle sortit un face-à-main du tiroir de son bureau, s’y mira un instant, tapotant du bout des doigts ses tours de faux cheveux mal mis, arrimés tant bien que mal sur les quelques poils-tête gras qui ornaient encore son crâne. Manga réprima un haut-le-coeur. Elle tendit son bras ballottant et le face-à-main vers Manga et ordonna :

«  – Récite-moi du Molière, sinon, je te tue ! »
Alors Manga récita :
«  – L’exemple est admirable, et cette dame est bonne ! /Il est vrai qu’elle vit en austère personne ;/Mais l’âge dans son âme a mis ce zèle ardent,/Et l’on sait qu’elle est prude à son corps défendant./Tant qu’elle a pu des cœurs attirer les hommages,/Elle a fort bien joui de tous ses avantages ;/Mais voyant de ses yeux tous les brillants baisser,/Au monde qui la quitte, elle veut renoncer,/Et du pompeux voile d’une haute sagesse/De ses attraits usés déguiser la faiblesse./Ce sont là les retours des coquettes du temps./Il leur est dur de devoir déserter les galants./Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude/Ne voit d’autre recours que le métier de prude,/Et la sévérité de ces femmes de bien/Censure toute chose et ne pardonne rien:/Hautement d’un chacun, elles blâment la vie,/Non point par charité, mais par un trait d’envie/Qui ne saurait souffrir qu’une autre ait les plaisirs/Dont le penchant de l’âge a sevré leurs désirs.
Zieuxrouge lâcha un pet sonore, et dit :
– « C’est du Molière, ça ?
– Il est des vapeurs qui vous feraient douter de tout, dit Manga, livide.
– Ah, tu as réponse à tout, hein ? Grinça Zieuxrouge. – Et de trois. -Mais je vais t’en dire une bonne, à laquelle tu ne sauras que répondre, et alors, je pourrais… te tuer !!!
Il fallait tenir bon. Si Zieuxrouges s’énervait en tout cinq fois, alors, c’est elle qui crèverait. Comme une grosse baudruche. Cette émission de gaz, si répugnante était-elle, était un encouragement.
– Je suis toute oreille, répondit Manga
– Manga, je suis ta mère.
– Quoi, c’est tout ? dit Manga
– Comment ça, c’est tout ! Tu me dois la vie, imbécile ! – prrrrrt !
– Alors là, c’est vite dit… Si on était responsable de ce qui se passe avant notre naissance, ça se saurait. Puisque nous ne sommes nullement responsables de notre venue sur Terre, nous ne devons rien à ceux qui le sont. Au contraire, ça serait plutôt à eux de nous dédommager ! Cela s’appelle « héritage », je crois. D’ailleurs, puisque nous en parlons…
– Rhhhaaa ! Mais tais-toi ! Rapace ! Pince-maille ! Fesse-matthieu ! Baise-la-piastre ! C’est en vautour, que j’aurais du te transformer !
– Tu as fais les choses à moitié, tout de même. Pourquoi ne pas m’avoir tué à ma naissance ? Entre nous, eh bien franchement, tu es méchante, ou tu fais semblant ?

– Parce que tu crois qu’on peut se débarrasser de toi comme ça, grinça Zieuxrouges ? Tu résistais à tout ! Impossible de te noyer : insubmersible. Impossible de te faire dévorer par les loups : ils t’emmenaient dans leur tanière comme un de leurs petits. Impossible de te perdre dans la forêt : tu y étais comme chez toi. Impossible de t’empoisonner : tu résistais même au ragoût de pois chiches. Impossible de te vendre à des trafiquants en tous genres : tout le monde t’aimait instantanément et voulait ton bonheur. Oh, comme j’ai maudit cette maudite comète, qui m’a engrossée alors qu’une nuit je ramassais cette cigarette que j’avais laissé tomber !
– Ah, c’est pas pour me vanter, mais quel pedigree… Je vais leur clouer le bec, moi, aux Causette et aux Cendrillon ! Y a pas à dire ! Et t’as rien trouvé de pire qu’une forme de chat télépathe ?
– Mais tais-toi ! Tais-toi donc ! J’ai du te jeter 10 sors pour que tu ne puisses plus parler, pour que tu te taises enfin ! Tu résistais à tout ! Tu te mettais à parler malgache, puis arabe, puis tamoul, puis bambara, puis rouchi ! J’ai tout essayé ! Absolument tout ! Tais-toi ! La ferme ! »
Zieurouges étouffait de colère, et dégazait au passage comme un pétrolier Total en mer. Et de quatre. Manga se bouchait la truffe, et impavide, poursuivit :

– Bon, maintenant que nous avons bien rigolé, parlons sérieusement. Tes menaces, c’est de la crotte de bique. Tu ne peux absolument rien contre moi, je suis le fils de la Comète. Toi, Zieurouges, jamais tu n’arrêteras les comètes. Au mieux, tu peux ralentir leur course.
– Rhaaaaaaaaaa !!! Mais tais-toi !! aaaaaaaaaahhh !!! Je vais t’étrangler ! Je vais t’étrangler ! »

Et de cinq. Zieurouges se mit à grincer, à craquer. Elle devenait de plus en plus rouge, et rouge, et plus rouge encore… Sa peau se tendait tant elle hurlait de colère. Manga se réfugia sous un tapis. On a beau être insubmersible, on n’est jamais trop prudent ! Il entendit une déflagration, puis un long bruit de baudruche qui se dégonfle. Nous étions dans le cinquième mois de l’année, mois qui, comme vous le savez, est depuis lors consacré in memoriam aux élections pestilentielles dans beaucoup d’endroits où qu’on connait la légende de Manga, et où se vendent des objets de toutes sortes estampillés #JesuisManga.
Quand il n’entendit plus rien, Manga souleva un pan de tapis. Il ne restait rien de Zieurouges. Les règles de grammaires et les accents s’enfuirent bien vite par les bouches d’aération exigées par les normes de sécurité. Il ferma les yeux et s’adressa à Zamanana pour lui demander de demander au Baobab d’opérer un rapatriement sanitaire. « Il faut d’abord que tu remontes à la surface », répondit Zamanana. Manga s’engouffra dans la bouche d’aération, puis finit par atterrir dans une cour où poussaient des orangers. Ça alors… L’Institut Français… Ça tombait bien, Manga avait justement pensé à prendre le dossier de demande de subvention. Il alla le déposer dans la boite aux lettres, et puis zoup, il se retrouva soudain dans le Baobab, avec Zamanana. Il ne leur restait plus qu’à rentrer au village où, à n’en pas douter, on les attendait avec impatience.


Le piège de la féminisation de la langue

AUTRICE??? Les formes féminisées sont des babioles. Je doute que peindre la langue en rose ait un quelconque effet sur l’égalité des salaires et l’accession aux postes à responsabilités.

Photo : Rémi Angéli – Festival Ecoute Voir 2016

C’est une façon de dériver des problèmes réels, outre que ça induise une différence là où il est déjà bien difficile de montrer aux misogynes qu’il n’y en n’a pas… Une « autrice », ça ne vaudra donc jamais « un auteur », se gausseront certains. Allez leur expliquer, une fois que vous serez pédégère, autrice, ou que sais-je, qu’il s’agit d’une fonction, que vous l’exercez aussi bien qu’un collègue masculin…
Ce débat est du pain bénit pour tout ceux qui s’arc-boutent contre un changement réel de société. A grand coup de « cheffe » et de groupes de réflexion, on endort tout le monde. « Vous voyez bien, que nous prenons vos revendications au sérieux ! », disent-ils. Et alors ? Est-ce que madame la docteure est plus respectée par ses collègues masculins ?
Et puis, que se passera-t-il, le jour où un homme – c’est à dire pourvu de chromosomes XY – se déclarera, revendiquera le titre d’ « autrice »? Que se passera-t-il le jour où un homme se dira voix ou plume féminine? Deviendra-t-il un « sous-auteur », car la langue française a tendance à féminiser ce qui perd en prestige social?


Qui c’est qui va s’occuper des enfants ?


Quant à me convaincre que l’avenir professionnel des femmes françaises, leur égalité de droits de fait se situe dans l’emploi de formes du XVIe siècle, ou de formes communément admises outre- Atlantique… L’avenir se situerait-il donc dans le passé, ou à des milliers de kilomètres ? Ces formes n’auront de sens que le jour où plus personne ne pensera que « préfète » c’est la femme du préfet. Il me semble bon de rappeler que Getrude Bell, femme extrêmement brillante, était contre le suffrage féminin non par bêtise, mais parce qu’elle avait bien conscience qu’en l’état où était la société anglaise de l’époque, le vote féminin n’aurait aucun sens, puisque les femmes voteraient selon la prescription de leur mari, du curé ou pasteur dans une grande majorité. Les femmes pourraient théoriquement être « pédégère » ou « autrice », mais tout de même… Qui c’est qui va s’occuper des enfants ?


« les féministes québécoises beaucoup moins coincées que nous sur cette vision conservatrice et macho de la langue française m’ont convaincue qu’il fallait oser bouger. », dit une connaissance.


Sauf que nous sommes en France, pays conservateur et macho. Et les forceps linguistiques, je n’y crois pas. Pour l’heure… Laissez-moi être « docteur », « pilote de chasse », « mécanicien », et allez plutôt prêcher la bonne parole à tous ceux qui pensent m’envoyer faire le café, s’autorisent à me faire des blagues salaces, à m’appeler par mon prénom et à me proposer d’aller boire un verre, alors que JAMAIS ils n’oseraient se comporter ainsi avec un homme, et trouvent normal que payée à temps partiel j’accomplisse des taches plus complexes qu’un collègue à temps plein. Je sens déjà que les plus braves en discours commencent à trouver qu’il est tard. Et voilà poindre la différence entre « féminisme de salon (littéraire) », bon teint, qui permet de jouer les intellectuelles, les affranchies, voire à quelques hommes de s’en réclamer, et le « féminisme cambouis », ou de terrain, celui qui se bat contre le harcèlement moral, qui sert les dents et les poings, sans avoir nécessairement du poil aux pattes et une haine féroce des hommes. Bon, je vous laisse à vos concepts, hein, j’ai un loyer à payer. Et puis le voisin vient de m’inviter à dîner.


Frein moteur
Roue motrice
On progresse
Écrane protectrice
Le désert avance


 Réactions au cœur du réacteur


GEORGIANA C., professeur de littérature : « Ce n’est pas le nom du métier qu’il faut changer, c’est la perception qu’on en a. Je suis d’accord avec toi, le vrai combat n’est pas là. C’est assez méprisant de dire « Allez, on vous accorde un e à la fin et tout va bien », sans parler des salaires… »


MARION N. : « Je suis d’accord avec toi, ça n’est clairement pas la priorité (et autrice, c’est moche, je préfère auteure). Mais c’est quand même important : notre langue est sexiste, et cela induit une acculturation quotidienne insidieuse. On publie des annonces recherchant des « puéricultrices » (ah bon? On peut pas être un homme et avoir envie de faire de son métier la prise en charge des enfants?), par exemple, et ça me gonfle ; la plupart des insultes courantes sont dérivées de mots désignant les femmes, leur anatomie ou leur fonction (f… de p… ; con/conne/connard/connasse; n… sa m …), quand les termes laudatifs sont dérivés des hommes (avoir des couilles/en avoir dans le pantalon, par exemple). Revendiquer, pour certains métiers, la féminisation (ou la masculinisation, pour moi ça va ensemble) de leur appellation au quotidien, c’est justement une des voies pour permettre une prise de conscience que certains métiers ne sont pas réservés aux hommes ou aux femmes (mais préfète, je trouve aussi que c’est moche, comme cheffe ; je suis pas à l’abri de mes propres contradictions). Mais j’aimerais aussi qu’on arrête de démarrer une interview de femme par une description de son physique ou de sa tenue, ou qu’on ne m’introduise plus en réunion comme « la charmante Marion », ou qu’on ne me siffle plus dans la rue comme un clébard (…) »


MEL P. W. : « Quand je travaillais à l’hôpital, j’étais infirmier. Point. J’aimerais aussi qu’on ne présente plus une femme brillante comme avant tout la « femme de ». Ça, ce n’est bon que pour les « assistantes parlementaires ». J’aimerais qu’on arrête de demander leur âge aux femmes non mariées sans enfants et qui font des études longues ou qui travaillent. Je trouve extrêmement gênantes ces allusions constantes à la vie privée des femmes lorsqu’il est question de leur réussite professionnelle, comme s’il fallait trouver une justification à leur talent dans une présence masculine, ou prouver qu’être brillante, c’est forcément rater sa vie personnelle. »


JULIE C., performeuse burlesque : « Plus sérieusement, ce n’est pas en rajoutant des « e » à la fin de désignation professionnelle, en supprimant les pages filles et garçons des catalogues de jouets, en refusant de lire les contes de Perrault à ces gamins, que les différences de traitement envers les hommes et les femmes seront abolies. Tout ce qui est de domaine du symbole ne vaut que pour ceux qui lui accordent du sens. Les femmes n’ont rien à prouver, toutes ces soit-disant avancées ne sont que des détails, et ont le désavantage de pointer la différence et le retard entre nos deux genres et non pas à le gommer. Finalement la vraie victoire sera quand on ne se posera plus la question, quand on ne désignera plus telle ou telle personne par son genre, son âge, sa sexualité, sa religion, son régime alimentaire… mais quand on la désignera par ce qu’elle aura accompli. »



Festival italien de Tours : viva il cinema!

Radio Campus Tours était partenaire média de la 4e édition des Journées du Film Italien de Tours. C’était l’occasion de voir un cinéma mal diffusé, de fiction, et documentaire, et de réaliser des interviews de réalisateurs!
Tous les films présentés étaient en V.O. sous-titrée français. C’était un grand plaisir pour moi d’entendre cette langue, non seulement à l’écran, mais également parlée autour de moi. En effet, la première fois de ma vie que je me suis sentie parfaitement heureuse, c’était en italien. Il semblerait qu’une langue laisse une empreinte affective; l’italien est pour moi la langue de l’émotion positive, et je me suis dit qu’il me plairait l’année prochaine, de mener mes interviews en italien, tout en me demandant si alors, j’arriverais à faire preuve de la même distance critique.



Documentaire


J’ai un interet particulier pour le film documentaire, alors, je me suis jetée avec avidité sur les films de cette catégorie, d’autant que cette programmation était proposée par le collectif de réalisateurs tourangeaux Sans Canal Fixe, qui propose toujours des films étonnants et quasi invisibles ailleurs dans le cadre de ses projections mensuelles. Par ailleurs, je leur ai demandé de l’aide pour l’écriture de mon projet de film, parce que je suis curieuse et admirative des films hors normes qu’ils produisent


Hommage à Franco Piavoli


J’ai découvert ici le travail d’un cinéaste autodidacte, et qui produit son image indépendamment de sa bande son. Le résultat est vraiment étonnant visuellement, entre la peinture et le cinéma d’animation parfois, avec des plans qu’interdirait tout académisme. Le son est un travail d’orfèvre, qui se fond parfaitement dans l’image. On découvre le regard malicieux d’un portraitiste, d’un entomologiste, qui s’ingénie à superposer les règnes animal et végétal. Jean Rouch lui-même avait été fasciné par Il Pianeta azzuro (La Planète bleue).


La Mostra del babbo, Elisa Zampagni, documentaire, 2016, 42′
Interview de la réalisatrice et de son père.



« I ricordi del fiume », documentaire, Gianluca et Massimiliano De Serio, 2015, 1h36


En décembre 2014, sur les bords de la rivière Stura à Turin, un ambitieux projet d’urbanisation prévoit le démantèlement du Platz, un des plus grands bidonvilles d’Europe. Plus d’un millier de personnes de diverses nationalités y survivent dans d’effroyables conditions. Tandis que certaines familles vont pouvoir être relogées, les autres vont devoir retourner dans leur pays ou trouver un autre logement de fortune. À travers une immersion dans les lieux, Gianluca et Massimiliano De Serio nous font vivre les derniers jours du Platz, entre déchirement, drames, espoirs et vie.


J’ai eu envie d’aller voir ce film parce qu’en 2013, j’avais été moi-même dans des bidonvilles de Roms à Marseille, où j’avais fait des enregistrements sonores. Je voulais voir comment cette « immersion » avait été réalisée, comment bougeait la caméra, quels angles et donc quel parti pris étaient ceux choisis par les cinéastes, seraient-ils en interaction avec les personnes filmées, ou oeil témoin? La caméra se faisait-elle oublier?
Evidemment, j’ai eu le déplaisir de voir que tous les bidonvilles se ressemblent, qu’on y a les pieds dans la boue dès qu’il pleut, qu’on y fait des trucs dangereux, simplement parce qu’on ne peut pas faire autrement. J’ai évidemment vu des gens au milieu d’une décharge, et c’est toujours révoltant, de voir que nous sommes capables de traiter nos égaux comme des ordures. Cependant, peut-être parce que j’avais « déjà vu », j’ai trouvé le film trop long.

Dans la dernière demi-heure, on a l’impression que les cinéastes ont voulu montrer le plus de situations possibles, le plus de personnes possible, le plus de douleurs possibles. On atteint presque le catalogue, et malheureusement, cela donne un effet d’écœurement, non plus parce que les situations sont insoutenables, mais parce que ça montre trop, et que l’on se sent captif de ce regard qui devient trop extérieur et linéaire. On a hâte que ça se termine. Le film gagnerait peut-être à être raccourci d’un bon gros quart d’heure, pour rester dynamique. La clôture, avec cet enfant que l’on retrouve au début et à la fin, déambulant dans le bidonville, et que la caméra suit, comme s’il nous guidait dans ce capharnaüm de misère apporte une touche visuelle intéressante, mais le procédé est aussi un peu éculé. Le film montre aussi des policiers qui agissent sans violence vis à vis des habitants du bidonville, qui les connaissent, voire prennent de leurs nouvelles. C’est intéressant. Justement parce que les violences policières et surtout celles de riverains sont extrêmement fréquentes en pareil cas.



« Due euro l’ora », fiction, Andrea D’Ambrosio, 2016, 1h20. Scénario de Andrea D’Ambrosio et Donata Carelli.


Dans un petit village au sud de l’Italie, Gladys, la quarantaine, travaille au noir dans un atelier clandestin de matelas pour deux euros de l’heure. Son patron, Blasi, n’a aucun scrupule à faire travailler les ouvrières dans ces conditions indignes. Arrive Rosa, une jeune fille de 17 ans, abandonnée par sa mère et en conflit avec son père, qui a décidé de quitter ses études pour aller travailler dans cet atelier. Une amitié se noue entre les deux femmes, bien décidées à faire valoir leurs droits. Basé sur des faits réels, le film aborde avec justesse l’exploitation féminine dans le monde ouvrier.


Alors, voici que j’ai été voir un film de fiction, programmé par l’association Viva il cinema, qui était aussi l’un des films en compétition pour le prix de la ville de Tours. Si j’ai eu envie de voir ce film, c’est parce que le réalisateur est surtout connu comme… documentariste, et qu’il s’agit là de sa première fiction. A dire vrai, je m’attendais, comme dans ses documentaires, à un ton plus engagé, plus militant, et j’ai été un peu déçue de voir la place que prenaient ce qui pour moi est le pire des ralentisseurs d’intrigue : les histoires de fesses façon Santa Barbara, qui n’ont absolument aucun intérêt narratif, et souvent peu d’intérêt visuel. J’ai voulu comprendre cette démarche, et j’ai donc réalisé cette interview.



Chanson pro-meuf

Le 8 mars, c’était la Journée Internationale des Droits de la Femme. Bien sûr, « des Droits » est escamoté dans la plupart des cas, et l’événement devient « La Journée de la Femme », occasion inespérée de vendre aux femmes toutes sortes d’inutilités, et de leur faire oublier leur droit à être autre chose que des objets. Je m’insurge.
Alors, la Caisse d’Epargne y a été de sa petite carte bleue « série limitée » Repetto, rose ballerine, spéciale Journée de la meuf. Quand on met en face les mariages forcés, les discrimination dans l’accès aux postes à responsabilités, on rit jaune. Mais ces cartes roses au « motif féminin », donneront chacune 4€ à l’association « Le Cancer du sein, parlons-en ! ». Voilà ce qu’on vous répondra. Et combien de nouvelles clientes, bernées par cette stratégie marketing ? Jusqu’à 20 000. Merci la Journée [des Droits] de la Femme !

Une stratégie qui repose sur :
– la bonne conscience des clientes potentielles (un don de 4€, alors qu’elles pourraient donner plus de manière directe et le déduire en partie de leurs impôts), on ajoute quand même le lien vers le site où faire un « vrai » don en ligne, histoire de dire que l’on n’est pas que des commerciaux.
– leur accoutumance aux procédés marketing standards (« série limitée », « exclusif », « marque prestigieuse », « marque française »)
– le détournement et l’utilisation à des fins mercantiles d’un événement non-commercial
– l’utilisation de clichés genrés (le rose, la ballerine, la danse, la mode)


ARE YOU A FFFFFFFFFFF……. FEMINIST ???!!!


Maintenant que mes lecteurs potentiels se disent que je suis une mégère agressive, mal épilée et qui voit le diable (en Prada) partout… je me concentre surtout sur les lectrices féministes-soft qui se trouveraient parmi eux, en partageant cet article écrit par Nadia Daam, sur Slate :

Allez vous faire foutre les féministes glamour

Parce que oui, on peut être jolie et féministe, sexy et féministe, aimer les hommes et être féministe, porter le voile et être féministe, mais non, on ne peut pas être une « gentille féministe », tant que des femmes mourront quelque part dans le monde, parce qu’elles sont des femmes.


On connait la chanson !


SOIT est artiste qui qu’a envie de l’être et ne redoute pas le salaire fictif.
OR il se pourrait bien que tout acte expressif, brut, naïf, minimaliste, post-humain, préconscient, expérimental puisse être considéré comme de l’art tant qu’il promet un vent d’une revigorante nouveauté, palpable ou sonore, en forme de frite géante ou de rien.
DONC c’est le moment de me lancer dans la chanson et de rappeler aux s(c)eptiques que oui, j’ai pas de plaque d’immatriculation, mais que j’ai un numéro GUSO. (Ah pan, comment je te les ai mouchés !)

Voici une horreur homemade en ce 8 mars (mais postée plus tard, car la box du voisin ne marchait pas), hommage à toutes les femmes qui se font insulter, agresser, assassiner simplement parce qu’elles défendent leurs droits à être libres et heureuses. Hommage à toutes ces femmes dont on ridiculise toujours les propos et les actes, que l’on fait passer pour folles, hargneuses, « misandroses » , de petite vertu, bêtes, irresponsables, égoïstes, juste parce qu’elles entendent mener leur vie comme elles le souhaitent.

Musique au Concorde Elka de moi – paroles et chant carnatique du Sud de l’Inde de moi.