Warda

Radio aveugle, je t’aime !

Plusieurs vieux schnocks – dont moi – s’élèvent contre la radio filmée. Et si ce n’était déjà plus de la radio?

SPDC on air
Décembre 2017, en période de pré-fêtes, j’ai le plaisir de participer pour la deuxième année à la semaine de radio organisée par le Service Municipal de la Jeunesse (SMJ) de la municipalité de Saint-Pierre-des-Corps, Indre-et-Loire, France. Comme le rappelle cet article des Inrocks, Saint-Pierre-des-Corps a quelque chose du petit village gaulois d’Astérix.
Pendant une semaine, de 9h à 21h30, les associations locales, les écoles, les habitants, les artistes locaux, les élus, tous viennent s’exprimer sur le plateau de cette radio éphémère, qui existe tous les ans depuis déjà 12 ans. Le CSA accorde chaque année une fréquence temporaire, le 97.4 FM.
Un tel projet existerait-il ailleurs que dans cette municipalité communiste depuis près de cent ans ?
Les émissions sont animées par le SMJ, Radio Campus Tours, les étudiants de l’Ecole Publique de Journalisme de Tours (EPJT), et parfois « auto-animées », lorsqu’il s’agit de classes dont les enseignants ont eu envie d’inventer une émission avec leurs élèves, ou d’ « habitués », de personnes qui participent tous les ans, comme c’est le cas avec la Bib’ , la Bibliothèque Municipale.
Un article sur le projet en lui-même serait tout à fait imaginable.



Cependant, le sujet qui m’occupe ici, c’est la radio filmée. En effet, il faut dire que c’était la première fois de ma vie que je me retrouvais filmée parlant dans un micro, un casque sur les oreilles. Certes, nous avions été avertis : cette année, la municipalité innovait, la radio serait filmée et youtubée en direct sur le site de la mairie ! Il faut bien le dire, cette information m’était sortie de l’esprit, car, quand il est question de radio, je me soucie avant tout de son et pas d’image. De photos, à la rigueur, tant qu’il ne s’agit pas non plus d’un lourdaud qui vient faire cliquer son appareil à tout bout de champs près de mon micro (ce qui gène considérablement l’auditeur et le travail en cours).



On vous surveille


Au cours d’une émission, voilà soudain que, face à moi, s’allume un écran démesuré de télévision, façon 16/9 en plus grand. Et comble de l’horreur, je vois en gros plan disgracieux , sous une lumière désavantageuse, ma figure, surmontant un pull marin confortable mais peu élégant, une mèche de cheveux échappée du casque venant ponctuer mes phrases. Je me fais face dans un haussement de sourcils, qui provoque un blanc à l’antenne de quelques secondes. Pour l’auditeur, une seconde de réflexion entre deux questions pertinentes. Pour le voyeur, pardon, le téléspectateur, pardon, le… heu… le youtubeur, une micro-absence avec une expression de stupeur, mais sans tremblements, ce qui fait que le diagnostic de crise d’épilepsie ne tient pas. Soulagement, la caméra s’acharne à présent sur l’interviewé, qui lui n’a pas l’air troublé outre-mesure tout d’abord, puis qui s’emberlificote dans une explication et se met à digresser en se voyant ainsi observé. Tiens, on nous voit de plus loin, tous les deux dans le cadre. C’est gênant, cet écran, ça me déconcentre. Oh la la, c’est moi cette grosse avec un double menton? J’ai l’air avachie. J’espère que personne ne regarde ( 467 vues). Mes mains parlent autant que moi. Je… je vais les mettre sur mes genoux. Non, c’est comme si je supprimais la ponctuation de mon discours. Merveilleux, la Terre entière peut savoir que je me gratte le nez à cet instant précis. J’ai vraiment l’air de « ça » en vrai? Rhooo… Bon, ça commence à bien faire ! Je vais mettre mon écharpe sur cette caméra effrontée, si ça continue!


Suis-je déjà une vieille bique dépassée par les nouvelles technologies?


Suite à cette expérience éprouvante, alors que je m’étais toujours – avec une fatuité extrême – fait l’impression d’être née « trop tard, dans un monde trop vieux », voilà que j’étais « trop vieille dans un monde trop jeune ». J’eus ma minute Chateaubriand, puis m’ennuyant moi-même, et considérant que ce n’était pas si grave de ne pas avoir la télévision, puisque j’avais quand même un ordinateur et un blog, et que personne n’avait dû voir ce moment de disgrâce, je m’interrogeai sur la pertinence de la radio filmée. Après quelques recherches, je tombai sur cette vidéo de l’humoriste François Rollin, sur France Inter, où il s’insurge contre la radio filmée.



On avait dit pas le physique


Parmi les récriminations de François Rollin, le fait que l’image entraîne de fait une attention particulière sur le physique des intervenants. En effet, j’ai pu le constater moi-même. Jusqu’à présent, ma tenue vestimentaire, capillaire, mes ponctuations manuelles, mimiques, tenue corporelle, étaient le cadet de mes soucis. En effet, à la radio, on se fout de tout cela. Ce qui prime, c’est ce qui est dit et comment c’est dit. Pertinence, éloquence, choix du vocabulaire, grain de la voix. Je suis moi-même atterrée de me voir me soucier de mon double-menton alors que je parle d’art brut et de psychiatrie. Ces considérations viennent troubler la pensée, gêner le discours.

Mon inquiétude va vers les femmes. En effet, il serait bien hypocrite de nier la pression sociale qui est faite encore aujourd’hui sur les femmes, qui devraient toujours être belles, minces, soignées, élégantes, souriantes. A-t-on jamais vu en France une présentatrice télé vraiment laide ou en surpoids morbide ? Ou habillée en jean et pull marin, sans maquillage ? Si on commence à filmer la radio, les premières à se soucier de leur image, ce seront les femmes. L’image fascine. La radio est le seul média qui ne rend pas captif, que l’on peut écouter en faisant autre chose. Si la radio filmée se généralise, difficile de croire que les présentatrices n’entrant pas dans les canons de beauté majoritaires auront toujours une place de choix, indépendamment de leur talent radiophonique. Le consommateur voudra de belles images, de belles idoles. Cette injonction à la belle allure se fera aussi pour les hommes, mais dans une moindre mesure. Imaginez un peu le temps perdu à choisir une tenue, à planquer ses boutons et sa dentition disgracieuse, son strabisme, ses cheveux gras, tous ces détails dont la radio se fiche éperdument ? Encore une fois, le risque est que les femmes se doivent d’être belles avant d’être compétentes.

N’être pas qu’une apparence physique J’ai eu la chance de faire des ateliers radio avec des personnes en grandes difficultés sociales, ou psychiques. La vie à la rue, la précarité, les traitements médicamenteux, la forte consommation de tabac, d’alcool, tout cela laisse une empreinte sur les corps. Par ailleurs, quand on a peu d’argent, les dépenses vestimentaires ne sont pas les premières à faire. J’ai eu face à moi des personnes qui avaient énormément de choses intéressantes à dire, et qui souffraient parfois que « dans la rue, on ne nous regarde même pas », ou alors qui sont regardées de travers du fait de leur apparence. Ou qui, pour une raison ou une autre, ne voulaient pas être reconnues. Et pourtant, elles avaient des choses importantes à dire. La radio était un outil parfait. Très mobile, nécessitant peu de matériel, faisant fi de l’allure des gens. Ces personnes n’auraient pas accepté d’être filmées pour la plupart, et pour moi, il était évidemment impossible de le leur imposer.


Dire plutôt que paraître. Ou taper.


Nombreuses, les Cassandres qui parlent d’appauvrissement lexical dans les médias, et chez les plus jeunes, à l’exception, peut-être, des jeunes issus des milieux les plus favorisés, et qui très tôt baignent dans le beau langage. Dans un monde envahi par l’image des tablettes, smartphones, ordinateurs, où l’on peut dire en smileys ses émotions, à quoi sert encore de parler, de chercher le mot le plus précis pour dire ce que l’on ressent, puisqu’un petit bonhomme jaune y suffit ? Les SMS et les réseaux sociaux ont créé un langage réduit mais compréhensible dans le monde entier :
LOL 😀
Dans cet article de 2014, Le fossé lexical se creuse, Nabum, enseignant, partage ses inquiétudes.


Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, éberlué, l’immense décalage entre les élèves et les phrases proposées par de grands éditeurs, sans doute conseillés par une armée de spécialistes et d’inspecteurs généraux, de linguistes et d’experts de la littérature jeunesse. Là, j’avoue que je me gausse un peu tant les petites phrases proposées frisaient la médiocrité et l’obsolescence désarmante. Rien à sauver ou presque ….

Mais, le pire fut alors d’expliquer à ces élèves – issus d’une diversité qui les prive le plus souvent de racines et de repères sémantiques – des mots qui apparemment leur étaient totalement inconnus. Il faut avouer que ces enfants vivent dans des quartiers péri-urbains où le rapport à la nature est des plus lointain. Mais de là à ne rien comprendre à ce point, je n’imaginais pas que ce fût possible …


Dans ce cas, les élèves de la ville ne connaissent pas les mots du monde rural comme « jument », « poulain », « chevaucher ». Ils ne connaissent pas les mots qui renvoient à autre chose qu’à leur quotidien immédiat. Ils les lisent sans comprendre et ne s’approprient pas les mots si aucun effort n’est fait pour leur expliquer. Dans une cours d’école, quand on se tape dessus, puis plus tard dans la rue, c’est parce qu’on n’a, le plus souvent, pas réussi à DIRE ce que l’on ressentait, parce que les mots manquaient, ou parce qu’on n’a pas compris un MOT, une EXPRESSION, un second degré, et qu’on s’est senti agressé ou démuni.

Quel rapport avec la radio? Pour moi il est assez évident. J’ai la chance depuis quelques années de participer à des radios pédagogiques en milieu scolaire, école et collège.
Qui domine dans une classe, surtout une classe d’ados ? Les filles les plus belles et les plus insolentes, les garçons sportifs et musclés, les grandes gueules qui ont toujours une vanne bien grossière et bien agressive sous le coude, mais dans avec un nombre limité de mots.
Qui domine, face au micro, où on ne voit ni la jolie coiffure, ni la carrure d’athlète, sur laquelle on mise tout ? Et où pour tenir une heure d’émission avec un économiste, une association environnementale, il faut avoir autre chose en stock que des vannes ? Où il faut savoir écouter les autres pour réagir à propos, réagir à ce qui est dit, argumenter ? Où on a besoin de coopérer, avec le technicien, avec les invités ? Souvent, ce sont les plus timides, ou du moins, les plus discrets, ceux qui savent poser leur voix, dire précisément, et sans crier, et ce ne sont pas forcément les premiers de la classe.

Constats : la discussion, l’échange c’est exigeant. Il faut des mots pour que l’autre comprenne mon idée, j’en ai besoin pour expliquer. La radio, ça peut être autre chose que les animateurs des grandes radios commerciales, et ça n’est pas forcément ennuyeux. Pas besoin de crier, de jouer des coudes ou du fer à friser pour être intéressant et respecté. Et tout ça, justement parce que la radio n’est pas filmée. Et cerise sur le gâteau : oui, ça servait vraiment à quelque chose, ces exercices de grammaire, d’Histoire, de… puisque ça permet d’échanger avec un invité d’un autre âge, et d’être écouté et compris par d’autres que mes copains. Les professeurs disent, d’ailleurs, qu’une expérience de radio soude une classe, et fait évoluer positivement les relations entre les les élèves.
A titre personnel, j’estime aussi que l’on peut proposer à des jeunes des choses plus ambitieuses que ça :

Je pense donc que la radio NON FILMÉE est un outil pédagogique de premier choix. Sans dénigrer les autres supports (vidéo en direct sur les réseaux sociaux, youtube…) qui sont massivement consommés par les plus jeunes, cela montre aussi qu’un autre rapport au monde, à l’information est possible. Qu’on peut échanger autrement qu’en étant rivé à un écran.

Dans cet article de 2015, « Dans nos cités, le langage s’appauvrit : un « LOL » ne vaudra jamais le second degré »,  Abderrahim Bouzelmate, enseignant à Marseille, écrit :


Dans les cités, la jeunesse a ses propres codes et ses propres références culturelles, sportives et artistiques.

L’arrivée du rap dans ces zones au début des années 90 avait été un fait réellement libérateur. Les artistes de l’époque rivalisaient de beaux textes, de belles métaphores, et c’est ainsi que des générations d’enfants de cités purent retrouver un intérêt aux dictionnaires et aux bibliothèques pour un retour prometteur à la lecture. Je suis de ceux-là.

Puis il y a eu une fracture. Au confluent des deux millénaires, le rap français engageait la perte de son authenticité et de ses belles couleurs. On voulait absolument ressembler aux Américains, et les bras se gonflaient à mesure que les esprits maigrissaient.

Les vraies valeurs ont commencé dès lors à déserter ce style de musique. La vulgarité verbale, la promotion de la violence, les passages en prison, l’abaissement de la femme à un rôle bestial, étaient désormais la norme pour être un rappeur « hardcore ».

C’est la culture du mépris qui a jeté hors de scène la belle plume et son lot de finesses pénétrantes. Malgré tout, il demeure encore de bons rappeurs qui luttent pour les vraies causes sociales, même s’ils sont battus en brèche et bien marginalisés.


Alors, est-ce que filmer la radio n’aurait pas le même effet de « culture du mépris », « rejetant hors de la scène [les belles voix au physique ingrat] et [leur] lot de finesses pénétrantes ? » Vouloir absolument ressembler aux grosses radios, pour ne pas être « battus en brèche et bien marginalisés » ?


On nous entube (cathodique. ah ah)


Pourquoi diable les grandes radios se sont-elles mises à filmer des gens avec des casques qui parlent dans un micro ?
Voici ce qu’on lit dans Télérama, dans un appel à témoignages de 2014, dont on jugera de la neutralité :


(…) La pratique est d’abord née d’une nécessité : celle de fournir aux chaînes de télévision une vidéo des interviews politiques du matin. Elle s’est poursuivie avec l’essor de la consommation de vidéos sur Internet, et le développement de l’usage des tablettes ou smartphones. « Puisque ces appareils sont dotés d’écrans, ç’aurait été dommage de se priver d’y glisser des images », plaidait Christophe Israël, le délégué aux nouveaux médias à France Inter (…)

Alors que les utilisateurs de ces supports multimédia n’étaient que 4,2% en 2009, leur nombre s’élevait à 11,9% en 2013. La progression est encore plus nette chez les jeunes : en 2009, 11,3% des 13-24 ans écoutaient la radio sur un de ces appareils ; en 2013, la proportion était déjà montée à 26,4% (d’après une étude de Médiamétrie) ! Les radios devraient-elles tourner le dos à ces nouvelles pratiques de consommation, et refuser d’aller chercher le public où il se trouve ? (…)


Sur 20 minutes, on nous explique « Pourquoi la radio se généralise » :


(…) «Mon objectif, c’est d’avoir de l’audience supplémentaire», a expliqué à l’AFP Tristan Jurgensen, le directeur général de RTLnet. De son côté, Gilles Nay d’Europe 1 nous confiait il y a quelques mois: «Notre souhait c’est de capitaliser sur des têtes d’affiches, des gens qui sont connus à la télévision et que nos auditeurs avaient envie de voir». Radio France, qui propose de revivre des émissions en vidéo grâce aux podcasts depuis un moment, n’est pas en reste. «On travaille pour inventer notre futur. Ceux qui ne le font pas se condamnent à disparaître, nous a indiqué Joël Ronez, directeur des nouveaux médias du groupe. On a vocation à aller chercher nos auditeurs et les internautes sur leurs territoires de consommation». Comprenez par  là les smartphones et tablettes. Car l’arrivée de la 4G va décupler les possibilités vidéo de l’Internet mobile. Les radios veulent donc pouvoir proposer leur flux vidéo sur ces supports-là également. (…)
(…) La radio filmée est un enjeu important pour elles pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est une question de visibilité. Les dérapages des invités de la matinale ou les petites phrases de politiques, qui sont désormais enregistrées en vidéo, sont repris dans les journaux télévisés, sur les chaînes d’information en continu et sur Internet. Plus ces images, sur lesquelles figure le logo de la radio, sont reprises, plus elle gagne en visibilité. «L’objectif au départ, c’était ces reprises à la télé», a indiqué Gilles Nay à 20 Minutes. Mais il y a aussi un enjeu de monétisation. La vidéo diffusée sur Internet constitue une source supplémentaire de revenus. «Nous avons un pré-roll [une publicité s’affiche au début d’une vidéo], mais nous réfléchissons à des formats innovants pendant le streaming, comme l’overlay [de la pub superposée au contenu]», expliquait-il. Des formats qui suscitent l’intérêt des annonceurs. (…)


Enfin dans cet article « Filmer la radio est-ce la dénaturer?« , qui ne répond d’ailleurs pas à la question posée, on peut lire :


Désormais, offrir un tel service de radio semble une nécessité pour toucher le jeune public. (…) près de 60 % de la consommation radio s’effectue en mobilité. Ils sont plus du quart à utiliser un appareil numérique pour écouter la radio. Et leur durée de connexion à la radio est inférieure à celle des autres tranches d’âge. Ces jeunes consommateurs ont donc de nouvelles habitudes et carburent aux clips viraux qui peuvent se partager sur les réseaux sociaux. Filmer la radio devient ainsi le moyen de produire à moindres frais des vidéos qui peuvent être diffusées sur les sites de partage vidéo (YouTube, Dailymotion) et, finalement, de développer un auditoire synchrone.


Donc, après nous avoir vendu ces milliards d’écrans, il semblait tout à fait normal d’y faire passer de la publicité, et puisque la radio était la dernière enclave où notre temps visuel disponible n’était pas encore capté, il fallait faire quelque chose. On va bien avoir droit à des publicités de trottoirs, après tout. Vous noterez d’ailleurs que dans les articles cités, il n’est question que de « consommateur » et de produits, et jamais d’auditeurs, d’information et de création sonore. N’y a-t-il que moi que ça étonne ?
Je pense enfin qu’il est vain de refuser les capacités incroyables que nous offre le numérique, de rejeter toute image. Cependant, je crois que la radio sans images va devenir un moyen de lutte contre l’uniformisation de la pensée et des modes de vie, des standards de beauté. J’y vois non pas l’apanage d’une élite, mais bien au contraire, un lieu où chacun peut réellement venir comme il EST. Non, la radio sans image ne va pas « devenir un moyen de lutte », elle va le redevenir, comme à peu près tous les quarante ans.



Lettre à la société de jeux Hasbro

Ah, Noël! Occasion rêvée de sortir les jeux de société, pour jouer en famille! Chez les B…-M… on sort le Taboo Junior, proposé par Hasbro. Le jeu date de 2003, ce n’est pas si vieux, mais soudain, surprise…

Suggestion de présentation et crédit photographique : Delphine M.

Sur la carte « maman », les mots interdits sont « Enfant » et « Bijoux »; sur celle de « papa », c’est « homme » et « voiture ». Enfant, sois attentif : une « maman » est pleine de bijoux et s’occupe des « enfants » (ou alors elle est un « enfant »?), un « papa » est un « homme » qui conduit une « voiture ». Voilà. Pour gagner, tu dois faire deviner « maman » ou « papa » sans citer leurs attributs principaux. Ahaha!!! C’est sacrément corsé, hein?

*** La marque Parker appartient au groupe Hasbro depuis 1991, mais le nom Parker apparait encore sur de nombreuses boîtes


Dodge – La Femme – 1955

Mail à Hasbro


Madame, monsieur,

Ouvrant une boîte de Taboo Junior (édition 2003) quelle ne fut pas la surprise et la consternation d’une de mes connaissances de voir :
– sur la carte « maman » les mots « enfant » et « bijoux »,
– et sur la carte « papa » les mots « homme » et « voiture »…
Pour que tout le monde puisse participer à son étonnement, elle a partagé une photo des cartes incriminées sur les réseaux sociaux. Un vrai buzz.
 .
Si j’ai bien compris les règles du jeu, il faut faire deviner « maman » sans dire « enfant » et « bijoux », et « papa » sans dire « homme » et « voiture ».
Croyez-vous sérieusement qu’un enfant de 2017, normalement élevé dans son époque – c’est à dire pas avant 1968 –  fasse un lien évident entre les mots « homme », « voiture » et « papa »? Pour moi qui me situe désormais dans la catégorie des trentenaires, « homme » et « voiture », ça réfère au mieux à un chauffeur-livreur masculin, à un pilote de F1 masculin, mais pas à mon père. J’ai interrogé une personne de plus de 60 ans, et pour elle « homme » et « voiture », c’est le chauffeur du président ou de quelqu’un de ce genre.
 .
Quant à faire de la voiture un attribut masculin… On hésite à rire ou à soupirer. Vous savez, de nos jours, – même en Arabie Saoudite, à partir de juin 2018 – la voiture peut être conduite par une femme… Je sais bien que les publicité de voitures à la télé regorgent d’hommes très très virils qui séduisent des idiotes belles et court vêtues avec des grosses bagnoles, mais dans la vraie vie, il y a plein d’hommes – et pas que mes amis bobos – qui se sentent tout à fait virils en n’ayant pas de voiture, et il semblerait que le vélo ne porte aucune atteinte à leurs capacités reproductives. Au contraire! Ils font du vélo avec leur progéniture.
 .
Quant à faire des bijoux et des enfants un attribut féminin et maternel… Là aussi, consternation et rire viennent à notre rencontre. Les enfants utilisent les mots « parents », « câlin », « maison », « adulte », pour faire deviner « papa » ou « maman », et ils ajoutent des choses spécifiques pour faire deviner « parent homme » ou « parent femme ». En 2017, ce n’est pas seulement « maman » qui s’occupe des « enfants »… Les seules personnes qui pourraient faire un lien entre « enfants », « bijoux » et « maman », ce sont des latinistes ou des pédants qui connaissent le « haec inquint ornamenta mea sunt ». Avouez qu’il y a peu de chance que cela soit le cas du public ciblé. Par ailleurs, toutes les mères ne portent pas de bijoux, et il existe aussi une quantité de mère parfaitement indignes qui ont le culot d’aller travailler – en voiture – et de laisser leurs enfants à leur mari au foyer. Anne Sylvestre a fait une chanson très drôle, qui s’appelle La Vaisselle, et je crois que c’est le moment de l’écouter. Ah oui, et quand une femme devient mère, il parait que génétiquement parlant, elle reste une femme.
 .

Ce jeu datait de 2003, alors, j’ose espérer que depuis, le jeu a été réédité, avec des cartes véhiculant une image moins rétrograde de ce qu’est un homme ou une femme, un père ou une mère.

Bien cordialement,

WM


Vroum!


Lettre à mon grand-père

« On ne peut pas tout comprendre, mon ami… » Nii Ayikwei Parkes

Cher grand-père,

Il y a deux ans, tu mourrais de froid, dans des circonstances restées pour moi étranges…
Période de fêtes oblige, les services de police ont mis – c’est du moins l’impression que j’en eu – un temps certain à nous rendre ton corps, et à conclure qu’il n’y avait rien à conclure, pas même une idée du nom de celui ou ceux qui t’avaient volé ton argent, ni du mystérieux rendez-vous où tu disais devoir te rendre et dont tu n’es jamais revenu. Un vieux retrouvé mort la veille de Noël, pas de quoi laisser refroidir le foie gras.
Je ne t’oublie pas.
Depuis quinze jours, ma chaudière se meure, et plus le 12/12 approche, plus les températures qu’elle offre sont à la baisse; comme les acquis sociaux dans ce pays. Si tu voyais ça… Enfin, peut-être que c’est mieux comme ça. Le thermostat se montre assez facétieux. 11.5°C à 11h05, avec un clin d’œil au 11 mai, 11/05 , les Saints de glace. 13°C à 13h. 12,5°C à 12h50. Et là, aujourd’hui… 8,5°C à 11h45. Que s’est-il passé le 8 mai 1945 à 11h? Peut-être pourrais-tu me le dire. Tu es plus calé que moi en Histoire.
Bon, c’est un peu dur à dire. Mais je me lance. Je ne t’oublie pas. Ne le prends pas mal, mais si tu veux me dire quelque chose, s’il te plait, laisse la chaudière… C’est difficile d’écouter et de travailler quand on a froid…
Il y a de quoi être fâché, cependant, c’est vrai… Ton film rouchi-marocain n’avance guère. J’ai besoin de ton aide précieuse à l’écriture; tu devais en être la voix… J’ai besoin d’argent aussi, car je ne sais pas encore me téléporter au Maroc. Peut-être que tu pourrais aller taquiner les chaudières des gens qui ne répondent pas à mes dossiers de demande d’aide à l’écriture?
Dis à ma grand-mère que son châle en laine m’est d’une grande utilité. N’était-ce la couleur, il fait vraiment madame Sarfati. Ça me fait rire, et je me réchauffe. J’irai acheter une boite de chocolats After Eight. Non pas que je les adore, mais c’était vos préférés. Je suppose même que vos excès de thé étaient un prétexte pour en manger. A chaque théière, son chocolat, n’est-ce pas?
Vous me manquez. A qui écrire des lettres, à présent? Je vais aussi aller chercher des oranges, et peut-être que je me laisserais aller à faire des pains d’amandes. C’est le moment de vous manifester. Je suis lamentable en cuisine, et je ne suis pas sûre de savoir bien régler votre four, qui coiffe cependant avantageusement mon frigo.
C’est étrange, j’ai déjà moins froid, de vous avoir écrit…


La playlist du consentement

Un spectre hante les relations amoureuses, le spectre du consentement. Qu’on l’ait ignoré ou feint de n’en avoir jamais entendu parler, voilà que depuis que ça #balancesonporc, le « consentement » s’incruste dans les conversations. Parfois, les musiciens-chanteurs-interprêtres en parlent mieux que beaucoup d’autres…


La baraque à frites


Oui, quand une femme se consume de désir sans discrétion aucune, et avec même une certaine vulgarité, il est commun dans le Nord de la France de la désigner sous le terme de « baraque à frites », on suppose en effet que la tôle qui compose ce débit de pommes frites atteint des températures record.

Les Rita Mitsuko – Andy


Le vieux satyre


Souvent, il est attiré par les jeunes sottes, et joue de leur naïveté. Autrefois, elles étaient élevées à dessein dans des couvents, pour divertir de leur niaiserie leur futur mari. Heureusement, les temps changent, et on ne livre plus si imprudemment les jeunes filles aux vieux pervers.

Serge Gainsbourg et France Gall – Pauvre Lola


Le devoir conjugal


Tout est dit dans la formulation…

Georges Brassens – Quatre-vingt-quinze pour cent


Le lourdaud insistant


Pas méchant, le mec, hein, juste… lourd. C’était non hier, et y a quinze jours, mais bon, au cas où on aurait changé d’avis…


Œillades provocantes


J’ai envie de toi… Est-ce que tu le vois? Mais voilà, si tu ne vois pas, tant pis, je n’insiste pas, et je savoure l’instant, tranquillement…

Catherine Ringer – Un bien bel homme


Le soupirant persévérant


De nos jours, ça n’existe plus guère que dans les romans. Mais pourtant, non, c’est toujours non…

Jacques Brel – Madeleine


#ThankYou

Un hashtag pour tous les hommes bienveillants, intelligents, intéressants que j’ai croisé dans ma vie ; parce qu’il y en a aussi. Tous les hommes ne traitent pas les femmes uniquement comme des objets sans cervelle. Et ils n’ont pas toujours uniquement envie de coucher avec.

Jean Imbert

Le mari de ma marraine, le seul qui eut la patience nécessaire pour nourrir l’enfant sauvage qui hurlait et refusait de manger.

Gérard Wyckhuyse
Mon grand-père, qui m’a appris à faire du vélo, aimait chanter et raconter des histoires.

Joël Javary
Le maître de CM1 qui aimait les expressions écrites de l’enfant sauvage, et lui a fait découvrir la poésie et le théâtre.

Didier Albert
Le CPE moustachu des classes préparatoires, qui m’apportait des livres, quand j’étais bien malade.

M. Wetzel
Prof de philo de Khâgne, qui se demandait en rouge dans la marge « pourquoi ne voulez-vous pas jouer le jeu – simplissime – de la dissertation? »

Camille
Le premier amoureux qu’on attendait pas.

Eric Rambeau
Le prof de fac devenu ami précieux, qui m’a fait découvrir le jazz et m’a encouragée à poursuivre mes études, et fut l’un des premiers à participer à mes émissions radio.

Guillaume Cingal
Le prof de fac devenu ami, malgré mon accent anglais giscardien, qui a cru en mon travail radiophonique et l’a partagé.

Franck Saintrapt
L’art-thérapeute qui a bien voulu prendre en stage une étudiante infirmière dans son atelier, en mentant qu’il était seulement infirmier.

Anthony Suarez
Le DJ marseillais qui m’a proposé son canapé pour échapper à un coloc frappadingue.

Hugues Anger
L’infirmier psy de nuit proche de la retraite qui m’a appris le peu que je sais dans le domaine, et m’a encouragée à continuer mon master.

David Bernagout
Le documentariste qui m’a envoyée faire une formation d’anthropologie visuelle à Rabat.

Yvan Petit
Le documentariste qui m’a appris à être auteur SCAM.

Sébastien Boisseau
Le contrebassiste qui m’a proposé un reportage sur ses Salons de musique, et a mis le son en fond sonore de son site.

Laurent Guibert
L’apiculteur toujours prêt à aider aux déménagements, quand tout le monde a piscine.

Jean-Luc Janssens
L’infirmier en psy belge, lecteur assidu de mes nouvelles et fans de mes blagues idiotes

Stéphane Berton
Le passionné de radio, qui fut l’un des premiers à me proposer de faire des ateliers radio.

David Christoffel
Le créateur sonore qui m’a proposé de participer à un de ses opéras parlés.

Sébastien Poulain
Le docteur ès sciences radiophoniques qui a accepté mon article pour les Cahiers d’Histoire de la Radio

Jean-Luc Raharimanana
L’auteur qui m’a proposé d’inventer un atelier radio autour d’un de ses ateliers d’écriture, et qui a prêté sa voix à plusieurs de mes émissions.

Sébastien Russo
Le peintre qu m’a proposé de participer à sa revue d’art brut TRAKT.

Pascal Vion
Le bibliothécaire de jour, artiste multiple de nuit, qui m’a proposé de co-animer l’émission Tante Simone avec lui sur Radio Béton.

TO BE CONTINED!


Titaÿana, une femme chez les chasseurs de tête #2

Grand reporter des années 20, Titaÿana est partie à l’aventure sur les cinq continents. Elle a été témoin de l’avancée des européens en terres lointaines. Qu’en dit-elle, en tant que femme française, dans ses reportages littéraires ?

Couverture des éditions Marchialy, 2016


II. La colonisation


Des colons ridicules


Dans la première partie de cet article, la description d’une « grosse femme verte » montrait le goût de Titaÿana pour les figures burlesques. Dans la même veine, et sans aucune complaisance, elle décrit les Hollandais venus en terre Toradja, et qui tentent de reproduire leur mode de vie ordinaire sans prendre en compte la vie qui les entoure. Ils semblent habiter un aquarium de convenances et de rythmes absurdes. Titaÿana dit les observer depuis les hauteurs, elle se place en observateur au regard descendant et condescendant. Dans cette description d’une vie rigide, bien huilée, sans aucune place pour la fantaisie, l’imprévu, où l’on a pour seul souci que celui de prouver aux voisins que l’on suit le protocole sans surtout jamais le questionner, transpire tout le mépris que l’auteur devait avoir envers ses contemporains, et l’horreur que lui causait la vie routinière et creuse qui allait de soi pour les femmes d’un certain rang.


Quatre maisons coloniales hollandaises rivalisent à celle qui aura le plus beau jardin ; derrière leurs pelouses bien taillées semées de massifs, elles sont solides, claires et confortables. Toutes quatre semblables (car les maisons des Indes néerlandaises semblent construites sur le même modèle), elles diffèrent par leurs dimensions proportionnées au rang de leur occupant. Voici celle du contrôleur, celle de l’assistant-contrôleur, du capitaine, et du commissaire. Le pasanggrahan où je loge sur une hauteur les domine. De sa terrasse, je peux suivre la vie des fonctionnaires. A 6 heures le matin s’ouvrent en même temps les fenêtres. Madame s’affaire en peignoir tandis que Monsieur traverse le jardin pour aller prendre sa douche. A 7 heures, déjeuner, puis les quatre messieurs vêtus de blanc et chaussés de noir se rendent à leurs bureaux, tandis que leurs épouses, habillées d’une robe à fleurs en toile imprimée, se rendent des visites, parlent santé, enfants, ménage et domestiques. A 14 heures ferment les bureaux et les quatre messieurs reviennent dans leurs demeures respectives où les attend un repas copieux servi sur des nappes à fleurs recouvertes de napperons brodés. Ensuite, se ferment les fenêtres pour la sieste. Que le coup de 17 heures interrompt. Monsieur surgit en pyjama, madame en robe de voile demi-longue, le thé servi par le boy depuis 16 heures les attend au chaud sous un capuchon ouaté. A 18 heures, sur les quatre vérandas, s’allument les quatre lampes recouvertes d’immenses abat-jours bariolés achetés au même marchand ; Monsieur lit son journal, Madame coud, les enfants jouent. A vingt heures, repas froid à base de tartines de pain, puis encore un petit peu de véranda, puis coucher général.
Une Femme chez les chasseurs de tête, Chez les Toradjas du Centre-Célèbes


Cette description n’est pas sans faire penser à, quelques décennies plus tard (1958), et en Europe, l’excellent film Mon Oncle, de Jacques Tati.

Départ pour le bureau

Visite entre dames

Ce que Titaÿana met en avant, c’est que la colonisation est le fait d’une certaine classe de la population européenne, et non pas de nations entières : les gens ayant pouvoir et argent, et qui voient dans ces nouvelles contrées un moyen d’étendre leur empire ; l’Europe étant déjà conquise.

 


Un mal inévitable ?


Si Titaÿana semble moquer les bourgeois, se montre critique quant aux effets de la colonisation capitaliste sur les peuples, elle est bien loin de s’insurger contre. En effet, elle considère cela comme un mal inévitable.


Pourquoi se révolter ? La colonisation est et sera de tous temps. Nous sommes Romains, et les Anglais Normands. Les Hollandais ne seraient-ils pas ici, avec leur force de travail, leur goût du nettoyage extérieur et du respect hiérarchique, que les Célèbes connaîtraient la discipline japonaise ou la dictature russe. Aucun regret n’arrêtera l’évolution du monde vers la grande uniformité et la conduite de sa transformation ne sera jamais confiée aux poètes.
Une Femme chez les chasseurs de tête, Chez les Toradjas du Centre-Célèbes


L’auteur fait un raccourci argumentatif étonnant. Elle compare la colonisation de la Rome antique et des Normands avec celle des Européens du XXe siècle. L’époque, les territoires et les populations n’ayant rien à voir, la comparaison vaut celle d’une carotte et d’une pantoufle, pour justifier que tout objet peut avoir une forme oblongue. Par ailleurs, c’est une femme qui a étudié le droit, la théologie ; il serait très curieux qu’elle ignore que la Rome antique pratiquait le syncrétisme, c’est-à-dire l’assimilation des croyances et dieux locaux. Serait-elle prise ici en flagrant délit de mauvaise foi ?
Titaÿana est une femme française, blanche, appartenant à une certaine élite sociale et intellectuelle. Finalement, on pourrait arguer que le monde tel qu’il est ne lui est pas si défavorable. Elle critique les méfaits du capitalisme introduit par les Européens sur les peuples qu’elle visite, mais plutôt que de considérer que d’autres organisations sociales sont possibles, elle affirme que le capitalisme est l’évolution inévitable, et, ultime sursaut de pensée bourgeoise, que la conduite de la transformation du monde est une chose trop sérieuse pour être confiée aux poètes.
Cependant, elle poursuit :


Admis le principe de colonisation, je ne crois pas qu’il soit possible de pousser plus loin que les Hollandais la perfection coloniale. Mais dans cet accomplissement matériel, une faille : l’idée que le premier et seul bien à donner aux indigènes est de faire d’eux des chrétiens. A ces peuples de civilisation différente, le blanc ne peut-il apporter autre chose que des casquettes, des uniformes, ou des signes de croix ?
Une Femme chez les chasseurs de tête, Chez les Toradjas du Centre-Célèbes


Elle parle des Hollandais, alors, ouf, l’honneur de son lectorat français est sauf. Il peut toujours se dire que la France agit différemment. Il est bien question d' »accomplissement matériel » : la colonisation, c’est une recherche de profit étendu, par ceux qui en font déjà. Or, dans la même phrase, « accomplissement matériel » et « chrétiens ». Il semble donc que la christianisation des peuples est une condition de réussite de l’entreprise économique. La religion est un instrument du pouvoir colonial, dont les symboles sont la casquette de l’ouvrier, les uniformes de soldats ou domestique, et les rites chrétiens. Titaÿana donnerait-elle dans la précaution oratoire ?



Conquête capitaliste et perte de sens


L’auteur montre que les peuples colonisés ne bénéficient que des effets négatifs de la colonisation, tout comme les classes les plus défavorisées de l’Europe d’alors. La notion d' »Europe », dans cette recherche du profit, devient floue :


Sur le chemin du retour, j’atteins le Long Iram, ce point extrême de la civilisation : il y a la maison d’un contrôleur, celle du Kiei, un marchand malais, une boutique chinoise. L’Europe, quoi.
Une Femme chez les chasseurs de tête, Chez les Dayaks du Centre-Bornéo


Dans cet extrait lu, l’auteur se fait Cassandre et décrit les effets à venir pour les peuples locaux, avec l’avancée de la « civilisation capitaliste » :

Comme Jean Rouch filmant la chasse au lion à l’arc en 1965, elle a conscience d’assister à la fin d’une Histoire, d’une civilisation.

La Chasse au lion à l’arc (bande-annonce), de Jean Rouch from Centenaire Jean Rouch 2017 on Vimeo.


Guerres de religions


Dans cet extrait lu, Titayana décrit avec quelle violence les peuples sont convertis par les missionnaires. Elle dit aussi que certains se déclarent musulmans en signe de protestation, de résistance, pour échapper à la conversion forcée. Et cela prend une saveur amère, à la lumière de la situation géopolitique que nous connaissons aujourd’hui.


Titaÿana, une femme chez les chasseurs de têtes #1

1920. Elisabeth Sauvy, dite Titaÿana, est l’une des rares femmes françaises qui accède au statut de grand reporter. Les éditions Marchialy rassemblent certains de ses reportages littéraires à travers le monde en un volume, Une Femme chez les chasseurs de tête, paru en 2016.
Cet article est en 2 parties.


I. Etre une femme


Une femme « paresseuse »?
Titaÿana, de son propre aveu, se montre rapidement incapable de vivre la routine d’une vie de secrétaire, et d’attendre le bus tous les matins. Elle dit être devenue journaliste « par paresse ».


Mon éducation ne m’avait pas préparée à prendre un métier : j’avais passé mes baccalauréats, mon brevet supérieur, une licence en théologie, je parlais trois langues, j’avais suivi des cours avancés en mathématiques et en droit. En somme, je connaissais l’étude et ignorais le travail.


Dans Les dessous de ma vie d’aventure, Titaÿana montre combien elle a du faire preuve de ténacité pour qu’un monde d’hommes prenne au sérieux son souhait de partir seule dans des contrées lointaines et et sa capacité à endurer la fatigue physique, la faim, le froid, la chaleur intense, à faire face à de multiples dangers, pour ramener des reportages passionnants. Vu la difficulté qui transparaît dans ses reportages – jambe cassée, maladie, privations alimentaires -, la « paresse » est toute relative. A moins de considérer que l’anti-conformisme est une paresse, ce qui, somme toute, est une pensée plutôt bourgeoise.

Une femme indépendante?


Mais je redoutais de revenir en France, dont j’avais emporté un souvenir d’angoisse. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas de place pour une femme seule cherchant à gagner sa vie. Le souvenir de calomnie et de méchancetés faisait battre mon cœur et monter en moi des révoltes contre l’injustice des indifférents, des camarades, et des soi-disant amis.


Près d’un siècle plus tard, il faut bien se résoudre à admettre qu’il est toujours bien difficile en France pour une femme seule – c’est à dire ni « femme de », ni « fille de » – d’accéder à un poste à responsabilités, au même salaire que ses pairs masculins, à compétences égales. On encourage un homme qui se lance dans l’aventure, alors qu’on demande toujours à une femme « Tu es sûre ? Ça va aller ? Tu vas y arriver? », et qu’on s’ingénie à semer des embûches sur son parcours pour l’empêcher d’avancer. On la placardise si elle se montre trop compétente, voire on la harcèle, pour bien lui rappeler qu’avant d’avoir un cerveau, elle est une matrice. Si une femme reçoit un prix Nobel, les journaux titreront « Incroyable, c’est une femme ! », alors que ce détail n’a en soi aucune importance.

Cependant, si Titaÿana fait preuve d’une rare force de caractère, il est vrai aussi qu’elle ne vient pas de nulle part. On peut supposer que son entourage familial était tout de même assez favorable : une famille de propriétaires terriens et de vignobles du Sud de la France, où se trouvent plusieurs élus, un commandant d’armée ; et où on laisse étudier une fille plutôt que de borner ses horizons au métier de mère de famille. Aurait-elle eu cette capacité à se jeter dans l’aventure, à aller de l’avant, à s’affirmer comme journaliste, sans un contexte familial où il n’y a pas de peur du lendemain, et où il y a un intérêt pour le savoir ?

Une femme qui n’aime pas les femmes ?


D’autres femmes trouvent la Joie dans un miroir. Moi, longtemps avant d’être vieille, je recrée la mienne en fermant les yeux : la mienne d’avoir traversé ce pays de mort lente, et d’en être revenue.


Titaÿana se montre assez dure envers les femmes qui ne sont pas de sa trempe ; et celles qui apparaissent dans ses récits, qu’elles soient la femme de gouverneur hollandais, des persanes, une jeune arménienne, apparaissent surtout préoccupées de leur tenue, de leur beauté, et assez simples.


Lorsqu’un tchador s’entrouvre, robe perlée, corsage décolleté arrivent en droite ligne d’on ne sait quelle boutique d’exportation. Le voile des femmes laisse le visage à découvert, surtout lorsque le visage est jeune et frais. Je sais gré aux femmes persanes d’avoir su faire leur charme de cette prison qui leur était imposée. Leur grâce, dans leur coquetterie à se voiler et dévoiler, laisse toujours voir la partie la plus attrayante de leur visage. Celles dont la denture laisse à désirer se voilent la bouche, celles dont les yeux qui louchent feraient oublier l’ovale du menton, rabattent pudiquement le grillage sur leurs yeux. Ainsi ont-elles la politesse charmante d’offrir au passant ce qu’il désire d’artificiel et de vrai.


On lit sur plusieurs site internet que Titayana était « féministe avant l’heure ». Pourtant, considérer que d’autres femmes font preuve d’une « politesse charmante » en s’offrant au désir du passant, et que leur charme réside principalement dans des effets de voile, semble assez réducteur pour les persanes, et assez loin d’une pensée féministe… Le fait d’arme de ces femmes, c’est d’utiliser le voile pour attiser le désir masculin. Mais elle ne nous rapporte pas grand chose d’autre sur elles. D’ailleurs, ses compagnons de voyages sont surtout des hommes, voire uniquement des hommes.
Ces femmes lointaines lui renverraient-elles l’image de la femme qu’elle ne veut pas être/ne sait pas être en Europe?

Titayana a un style vif, vivant, elle arrive à donner à voir ses aventures rocambolesques, et n’oublie pas d’être drôle. On le voit par exemple dans cet extrait de La Caravane des morts, où il est question d’une « grosse femme verte », qui semble être son double inversé. Un vrai moment de cinéma burlesque :

Extrait lu


Trucs de pauvre

Ces petites habitudes dont on met du temps à se défaire quand on galère un peu moins…

  • Grelotter à son bureau et se demander si c’est bien raisonnable d’allumer le chauffage. Puis mettre finalement un autre pull.
  • Convertir mentalement les prix d’objets non indispensables (vêtements, spectacles, disques, livres…) en nombre de baguettes ou de paquets de nouilles. Puis finalement renoncer à son achat.
  • Réinfuser le thé, et y ajouter préventivement un peu de cannelle, fleur d’oranger, clou de girofle, bissap, ou ce qu’il y a dans le placard.
  • Faire les courses en additionnant mentalement au fur et à mesure les prix. Recompter sur le tapis roulant de la caisse. Arborer un sourire satisfait quand la caissière annonce tout haut le prix compté tout bas.
  • Trouver des bonnes excuses en fin de mois pour échapper aux sorties proposées par les copains, même si on en meurt d’envie.
  • Hausser un sourcil incrédule et consterné quand votre banquier vous demande émerveillé comment vous faites pour n’être jamais à découvert.
  • Vérifier son compte en banque tous les matins.
  • Etre vegan par la force des choses, et rire un peu jaune quand quelqu’un vous félicite, parce que « pour nous, c’est dur d’arrêter la viande ! »
  • Connaitre le cours de la pomme de terre sur plusieurs marchés, Biocoop, Ruche qui dit oui du territoire.
  • Envoyer des sms, taper à l’ordi avec des gants
  • Éprouver le besoin urgent de rappeler quelqu’un quand tout le monde raconte ses vacances dans des pays lointains, et que vous sentez qu’on va vous poser la question fatale « Et toi, alors, tu as fait quoi de ton été ? »
  • Ne rien répondre, mais sourire, si on vous traite de radin.
  • Culpabiliser quand le prix d’un achat dépasse 30€.
  • Dire bonjour aux agents d’entretien et de sécurité, qui sont souvent étonnés.
  • Se regarder avec inquiétude dans le miroir ou la surface vitrée la plus proche quand un interlocuteur affirme que quelqu’un d’autre a « une gueule de cas soc' ».
  • Encaisser dignement le désamour d’une conquête qui dit s’ennuyer avec quelqu’un qui ne sort jamais, ne fait rien sur un coup de tête, et pourrait faire un effort pour être plus élégante ; sans apporter aucune explication.
  • Rire intérieurement quand des personnes assez aisées parlent de lutte des classes et de prolétariat.
  • S’enrouler hermétiquement dans sa couette, façon nem, pour faire face aux nuits d’hiver, en remerciant le ciel d’avoir déjà un lit et un toit.
  • Acheter tout d’occasion, et rire qu’on vous traite de « bobo ».
  • Avoir le cœur qui s’emballe dès qu’il y a une enveloppe blanche à fenêtre dans la boite aux lettres.
  • Sourire poliment quand un ami se plaint de payer trop d’impôts pour entretenir des fainéants, mais-pas-toi-c’est-pas-pareil.
  • Manger du riz-cassonade le matin, parce qu’il en restait d’hier soir.
  • Mettre des boules Quiès, et parcourir avec soulagement, émerveillement, sa bibliothèque, loin des discours imbéciles qui accusent les pauvres de faire exprès de l’être.
  • Repérer immédiatement les gens qui font la manche dans la rue, et leur répondre poliment.
  • Se dire que les dates de péremption, c’est pour les gogos. Ou les chochottes. Ou les deux.
  • Acheter du chocolat pour faire un gâteau. Puis se rappeler qu’il n’y a pas de farine, ni d’œufs, et qu’on a pas de four. Et que le gâteau au cuit-vapeur, c’était infect. Manger le chocolat comme ça. Ou fondu dans un bol sur le radiateur avec une banane.
  • Observer une minute de silence devant la laverie, en souvenir de tous ces sacs très lourds qu’on y a apporté, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige.
  • Réprimer un fou rire quand un ami africain vous soutient que tout le monde est riche en France, alors qu’il ne comprend pas pourquoi vous ne venez pas le voir pendant ses vacances à Paris.
  • Avoir toujours des pièces dans ses poches, mais pas de porte-monnaie.
  • Etre généreux avec les artistes payés au chapeau, et déposer le plus discrètement possible son offrande.
  • Faire la queue avec le vulgum pecus, et être gêné quand on vous arrache de la file pour vous faire entrer directement, « mais il fallait entrer directement ! »
  • Se demander « comment je vais le réparer ? » quand on casse quelque chose.
  • Développer des ruses de Sioux pour garder son thé chaud le plus longtemps possible, comme enrubanner la théière dans une écharpe en laine.
  • Connaitre tous les usages cosmétiques, thérapeutiques, sanitaires de produits pas chers et efficaces comme le bicarbonate de soude, le citron, la lavande, l’huile d’olive, le gros sel, le romarin, le miel…
  • Laisser les gens supposer que vous êtes assistant social, puisque vous semblez connaitre si bien les dispositifs d’aides et leurs conditions d’accès.
  • Pleurer de joie à l’arrivée des premières fleurs de cerisier du Japon
  • Se demander pourquoi tous ces gens qui envient les pauvres ne candidatent pas pour le poste : il y en a plusieurs à pourvoir.


L’élève Mouldawa

Je me suis déjà étendue sur le collège et le lycée; il semblait tout naturel, ayant retrouvé des cahiers d’époque, de faire un billet sur l’expérience de l’école primaire.

Quand on sait le nombre d’enfants qui rêvent d’aller à l’école, qui se battent – surtout les filles – pour y aller, j’ai presque honte d’admettre… que je me suis souvent ennuyée. Je crois aussi qu’il faut être ambitieux pour les enfants, et leur proposer des exercices qui ont du sens, et des textes d’auteurs, plutôt qu’un galimatias de phrases idiotes où maman fait la vaisselle…


CE2 – Du fond de la classe


Come on baby, and rescue me!

Résistance passive aux consignes imbéciles.

« Travail de cochon » ^^

Poésie surréaliste

Je ne vous le fais pas dire…

Nul, probablement.


Alors, hein, c’est bien la peine de me casser les pieds!

Pause musicale



CM1 – Epiphanie


Parfois, un enseignant qui apporte de vraies nourritures intellectuelles…

Et qui voit dans certains élèves, un journaliste…

… un auteur, pourquoi pas…

 

Molière : une respiration…

La poésie rend les enfants vivants.

Pause musicale



CM2 – Pressentiment


Précision insolente.

Absence de goût manifeste pour la campagne.

Tendance à privilégier le fond sur la forme.

En l’absence de lumière, une plante dépérit…


Parlons-nous tous la même langue?

C’est le thème choisi pour le lancement du Pôle Ecriture(s) de la coopérative d’activités culturelles, Artéfacts, dont je fais partie. Un événement mêlant écriture, création sonore et radio!

Nous sommes 4 auteurs à proposer cet événement. Un auteur sonore, et trois auteurs littéraires : Laëtitia TestardLéa Toto et Marie Remande .

A partir d’un son réalisé pour l’occasion par mes soins, les trois autres auteurs feront des propositions d’écriture aux participants aux ateliers. Restitution le soir à l’antenne. De 10h à 16h, depuis la Coopérative Artefacts, avec les 3 auteurs, les participants expérimenteront 3 styles d’écriture différents. Je prendrais sûrement du son… Puis viendra le temps de la mise en ondes collective, à 8 mains et 8 oreilles, sur Radio Campus Tours, la radio étudiante de Tours.


Ma proposition sonore



Composition


Je voulais mêler littérature, voix, et sons du monde; les choses qui me sont le plus chères, d’autant qu’il s’agit de créer quelque chose pour un collectif d’auteurs. C’est aussi une occasion de faire des clins d’oeil à mes amis et connaissances, à ceux dont j’admire le travail, et dont j’ai eu l’occasion de parler dans mes émissions. Créer quelque chose pour une naissance, après tout, c’est une belle occasion de dire au monde qu’il est beau, non?

« Parlons-nous tous la même langue? » : cette langue, c’est le Français; enfin, les Français. Qui parle quel Français, d’où, comment, pourquoi? Ici, on parle art, culture, communication, Histoire-géographie, conte, poésie, roman, slam, langue, langage, danse, niveaux de langue, sens de lecture, strates linguistiques et langagières, double sens, échos… J’ai hâte de voir comment les autres auteurs s’approprieront ou non l’histoire que je raconte ici!


Table des matières


CHAPITRE 1 – De l’art ou du cochon ?
A l’heure de la « Culture pour tous et chacun », la médiation a aussi son jargon

Prospectus sur le Chateau du Rivau
Prospectus sur Le musée Balzac, château de Saché
Articles de la revue OFFSHORE – art contemporain – Occitanie/Pyrénées/Méditerranée – juin-septembre 2017 – n°44
Articles de la revue BEAUX ARTS magazine – Lee Ufan – Pressentiment
Sons additionnels libres de droits
Captation : valiha, Jean-Luc Raharimanana


CHAPITRE 2 – Mère Patrie mer-veilleuse
Pourquoi franchissent-t-il la mer ? Slammer pour garder le cap ?

Résidents de la République – Marc Alexandre Oho Bambé, aka Captain Alexandre, On a slammé sur la Lune
Captation de la Méditerranée, Sète


CHAPITRE 3 – En gare de la Francophonie
Sais-tu à qui tu parles, voix sans corps, sais-tu de quel voyage dans le temps tu parles ?

Captations : gares SNCF, train SNCF, avion Air Madagascar, boite à musique


CHAPITRE 4 – Rêve de synthèse
Discours (pseudo?)scientifique, réalité chimiothérapique

Les rêves et les moyens de les diriger, Hervey de Saint-Denys
Voix off
Captation : musique gnawa, Rabat – Cigognes, Rabat


CHAPITRE 5 – A mots policés
L’art oratoire, discours politique et langue de bois

Charles De Gaulle – discours sur l’Europe
Valéry Giscard d’Estaing – discours post-élection in English
Titayana – Au Pays des morts qui voyagent, 1929
Captation : gouttes d’eau, M’Hamid El Ghizlane
Fragments d’interviews franco-québécoises